Traditions Bressanes / Lieux de mémoire, mémoires des lieux…
Cuiseaux, terre de vigne (1/2) 1er juillet
2011
Comme nous l’avons déjà vu en évoquant l’architecture des maisons
de Cuiseaux, la culture de la vigne était autrefois omniprésente dans le village.
Lorsque
l’on parle de vin en Bresse, on pense avant tout au « vin de bérégnons » et
au Noah qui rend fou… Mais Cuiseaux avait la particularité, et ce depuis l’époque
gallo-romaine, d’être réputée pour ses vignes et pour son vin. Il faut imaginer,
il y encore quelques décennies, la côte recouverte de vignes et ponctuée de
capettes… Sans oublier la forte présence de vergers et de marronniers faisant
le bonheur des badauds de la foire de la Saint-Simon…
Cuiseaux doit à sa
géologie, à l’exposition de sa côte à l’Ouest et à son climat ce particularisme
local, le tout agrémenté des vicissitudes de l’Histoire…
C’est
lorsque les habitants deviennent citoyens romains que l’empereur Claude leur
autorise de cultiver la vigne, privilège rare puisque les vignerons romains
ont longtemps cherché à conserver cette exclusivité. La culture est prospère
et accentuée par les réseaux commerçants établis par les Romains dans l’Empire.
Lorsque
le christianisme se propage et que les moines s’installent dans la région, c’est
également de bon augure pour les paysans « polyculteurs » et vignerons de Cuiseaux,
le vin étant porteur de prestige, de savoir-faire et de symboles : on célèbre
le service divin avec lui, il aide les moines au labeur, il est monnaie d’échange
et participe au digne devoir d’hospitalité. La vigne et sa culture tiennent
alors une large place dans le quotidien des habitants et des hommes d’église
: rappelons-nous pour cela les stalles de l’église dont l’une présente un pressoir,
élément indispensable à la vinification dont la forme et l’usage n’ont pas évolué.
Au
fil des siècles, la surface de la vigne et son travail prennent de l’ampleur,
en témoigne, la fameuse « Charte des libertés et franchises des bourgeois et
habitants de la ville » de 1260 où plusieurs articles ont pour thème la culture
de la vigne :
« Si quelqu’un
est pris en vignes ou fruit d’autruy, et appréhendé, si c’est de jour paiera
pour l’amende du Seigneur sept sols (…).
(…)
le vin ne devra pas être vendu aux enchères publiques et il devra y avoir une
mesure juste pour le vendre pour qu’il ne soir rein dût au crieur public, ni
au Seigneur (…).
Une fois
les vendanges décidées par le Conseil des Bourgeois pour un jour certain, toute
personne pourra dûment acheter des raisins dans l’enceinte de la ville (…).
En
ce qui concerne les dégâts des bêtes, nous voulons que pour un porc trouvé dans
les vignes ou les terres ensemencées, il soit payé six deniers (…) et que soit
réparé le dommage fait par chaque bête (…). »
A la place de cette forêt dense, imaginons la côté recouverte de vignes…
Cuiseaux, terre de vigne (2/2) 8
juillet 2011
Au fil des siècles, l’activité viticole se poursuit
et prospère à Cuiseaux et sur le canton puisque 200 hectares de terres sont
utilisés à des fins viticoles. La consommation est avant tout locale et l’activité
vigneronne est associée à d’autres, la polyculture étant toujours de mise, même
dans ce coin de la Bresse.
C’est à partir du milieu du 19ème siècle que
la vigne commence à perdre de son ampleur, suite à l’arrivée et à la propagation
de trois maladies : l’oïdium en 1845, le mildiou en 1876, puis le phylloxéra
à partir de 1883. Ce dernier, qui est en fait un puceron dont la larve fait
mourir la vigne en desséchant le cep, a fait périr la moitié de la surface viticole
cultivée sur la côte.
Afin de pallier à ce manque qui entraîna également
la baisse du prix des terres, le Préfet autorisa en 18887 les Cuiselliens à
introduire des cépages américains, seuls connus comme résistant au phylloxéra.
Peu à peu, l’activité reprend et se développe, jusqu’à ce que de multiples facteurs
la frappent à nouveau à la veille de la Première Guerre Mondiale : développement
des transports favorisant la concurrence (notamment avec les vins du Midi),
désintérêt des propriétaires fonciers, sans oublier le développement de l’entreprise
Morey, employeuse d’une main d’œuvre importante comme nous l’avons déjà vu.
Les Cuiselliens délaissent donc leur activité ancestrale de paysans viticulteurs
pour aller à l’usine…
Au temps prospère de la viticulture, c’étaient des
cépages fins qui étaient cultivés sur la côte. Avec l’arrivée des hybrides comme
l’Othello, le Noah ou le Clinton à la fin du 19ème siècle, c’est la productivité
qui est mise en avant. La production devient alors médiocre et est absorbée
quasi entièrement par la consommation locale et familiale. Réputés mauvais pour
la santé, ces hybrides seront définitivement interdits en France en 1934 au
profit du greffage de variétés françaises sur des porte-greffes. Cependant,
des cépages comme le Noah restent très populaires dans les campagnes car très
productifs, nécessitant peu de traitements…et excellent pour faire la gnôle…
Aujourd’hui,
on rencontre quelques pieds de vignes au gré des balades aux alentours de Cuiseaux
mais l’activité n’est plus professionnelle, à l’inverse du vignoble jurassien
qui s’est spécialisé avec la production de cinq cépages retenus pour établir
les quatre AOC d’Arbois, Château-Chalon, L’Etoile et Côtes du Jura.
Une antenne
de l’Ecomusée de la Bresse bourguignonne consacrée à la présence de la vigne
à Cuiseaux est visible dans la cour du château des Princes d’Orange. La « Maison
du Vigneron » est ouverte jusqu’au 30 septembre tous les après-midi sauf les
mardis et dimanches.
Quelques ceps de vignes plantés ça et là rappellent aux promeneurs qu’autrefois les Cuiselliens étaient paysans-viticulteurs.
Rue du Repos 15 juillet 2011
Après
cette petite escapade sur la côte, retour à Cuiseaux intra muros…Repassons sous
la Porte du Verger et nous voilà Rue du Repos, en direction de l’hôpital.
C’est
dans cette rue que l’on raconte avoir vu un loup, comme le raconte Marcel Baroë
:
« Jusque dans la deuxième moitié du 19ème siècle, le loup
fut l’hôte des bois et des forêts, l’homme et l’animal vivant l’un près
de l’autre, partageant presque le même territoire. Les rencontres entre
les deux ennemis étaient courantes. Pendant les périodes de disette, le
carnivore, le ventre creux, sortait à découvert et s’approchait dangereusement
des troupeaux et des habitations. (…)
Un matin d’automne brumeux,
à l’époque des vendanges, un loup entra dans Cuiseaux par la Porte du Château,
traversa toute la Rue du Repos et sortit par la Porte du Verger, à l’autre
bout de la ville. Les habitants ont pensé qu’il était ivre d’avoir mangé
trop de raisins. »
Rue du Repos, de belles maisons s’offrent au regard du visiteur. Aux numéros
15 et 17, c’est une maison en pierre avec nombreux percements de la période
gothique, imposante porte de grange et grande tour cylindrique surmonté d’un
colombier. Au 19, on remarque une habitation avec porte et fenêtre jumelles
à accolades alors qu’aux 14 et 16, ce sont des façades du 16ème siècle qui se
présentent : un grand portail d’entrée de grange ou de cave en plein cintre
côtoie une fenêtre géminée à piédroits gothiques.
Dans cette rue, au numéro
20, est le presbytère, dit « ancienne maison Paradin ». Comme une inscription
l’indique sur le linteau de la porte extérieure, cette demeure a été bâtie en
1562. Elle perpétue le souvenir de Guillaume Paradin. Né en 1510 à Cuiseaux
d’une mère cuisellienne (Claudine Anchemand) et d’un père marchand lédonien
(Claude Paradin), il fut doyen de l’église collégiale Notre-Dame de Beaujeu
où il mourut en 1590. Mais Guillaume Paradin est surtout connu pour ses travaux
d’historien : il publia, entre autres, Chronique de Savoye, Les Annales de Bourgogne
dans lesquelles il décrit l’incendie survenu en 1477 à Cuiseaux, et Mémoire
de Lyon. Une Rue Guillaume Paradin a d’ailleurs été baptisée ainsi dans la capitale
des Gaules. Connu également sous le nom de « Paradin de Cuyseaux doyen de Beaujeu
», Guillaume eut pour frère Claude, lui aussi auteur de nombreux ouvrages d’historiographie
et chanoine de Beaujeu.
Cette maison Paradin ne fut sans doute pas construite
par les deux frères mais acquise par leur famille postérieurement : depuis la
rue, on peut lire sur le linteau de la porte une inscription latine : « Ihs
virtuti fortuna comes Paradin ». « Paradin » est inscrit de manière différente
et semble recouvrir les initiales « B.V.P. », initiales que l’on retrouve sur
le manteau de la cheminée de la cuisine accompagnée de la date « 1566 ». Cette
demeure fut acquise en 1838 par la commune de Cuiseaux qui en fit son presbytère.
La maison Paradin, devenu presbytère
Rue du Repos, aux numéros 15 et 17.
L’Hôpital (1/2) 22 juillet 2011
Au
bout de la Rue du Repos se trouve l’Hôpital… Courtépée, dans sa Description
du Duché de Bourgogne, mentionne un hôpital à Cuiseaux dès 1300 : ce dernier
se situait dans l’actuelle Rue
aint-Thomas. Sis au 1 Rue du Repos (ça ne
s’invente pas), l’hôpital tel que nous le voyons actuellement date de 1777.
Il
se remarque notamment par son toit à la Mansart que surmonte un clocheton et
par une architecture gracieuse se reflétant dans les eaux du bassin d’alimentation
des fontaines de la ville. A proximité de ce bassin se situent deux pavillons
dont celui abritant l’ancienne morgue a failli disparaitre il y a peu sans l’intervention
des Amis de Cuisel.
Aujourd’hui transformé en maison de retraite (EHPAD)
et agrémenté d’une extension moderne à l’arrière du bâtiment primitif (travaux
effectués en 1957 et 1980 suite à la fermeture en 1978 des salles communes dans
le cadre des plans d'humanisation des hôpitaux), l’hôpital a pu prospérer par
le passé grâce à la générosité de donateurs.
Il faut rappeler que, suite
au Concile de Tours tenu en 570, les villes du Royaume ont du s’organiser afin
de porter assistance aux pauvres et aux vagabonds :
«
Que chaque cité entretienne ses pauvres et ses habitants dans la détresse selon
ses moyens… afin que ces pauvres n’aillent pas se porter à la charge d’autres
cités ».
De là est né un mouvement de protection sociale avant l’heure concrétisé
par la construction d’hospices, d’hôtel-Dieu, et d’autres congrégations prêtes
à porter assistances aux indigents. C’est grâce à des bienfaiteurs et à des
donateurs que ces édifices pouvaient accueillir, recevoir et soigner les plus
délaissés et également permettre l’achat de mobilier (à commencer par des lits)
et l’engagement d’hommes et femmes d’église pour gérer ces institutions.
Lors
de sa création en 1777, l’hôpital était dirigé par le doyen de l’église collégiale,
le custode-curé, deux notables et deux échevins. Sa capacité était de douze
lits desservis par les soins de quatre religieuses de l’ordre de Sainte-Marthe.
Les archives de l'hôpital de Cuiseaux, conservées aux Archives départementales
de Saône-et-Loire, permettent de suivre le fonctionnement de l’établissement,
essentiellement depuis le 15ème siècle : construction d'une chapelle en 1736,
logement de soldats en 1763, arrivée du personnel civil en 1791, accueil des
incurables et enfants trouvés après 1851, construction de dépendances en 1868,
des écuries en 1875 et 1876 et d'une grille en 1888, la création d'une école
de filles en 1818...
Le bassin collecteur d’eau principal de la ville se situe juste devant l’hôpital.
L’Hôpital (2/2) 29 juillet 2011
Outre
son architecture et son histoire, l’ancien hôpital de Cuiseaux est reconnu des
amateurs d’art et de patrimoine pour sa chapelle et son apothicairerie.
Suite
aux aménagements intérieurs successifs, il ne reste que peu de choses de l’ancien
agencement des salles mais il faut s’imaginer, un peu comme à l’Hôtel-Dieu de
Louhans, que cette petite chapelle se situait environnée de part et d’autre
par les salles des malades : d’un côté celle des femmes, de l’autre celle des
hommes. L’entrée dans l’édifice se faisait face à la chapelle ; la salle à manger,
les salons et cuisines des sœurs étaient à proximité.
Lorsque l’on pénètre
dans cette petite chapelle toujours consacrée et utilisée, on aperçoit, au fond,
une gracieuse verrière du 19ème siècle présentant Sainte-Marthe en pied, nimbée
et auréolée de son phylactère, sur un fond figurant un drap rouge frangé d'or.
Parmi les autres ornements, se trouve un tableau à l’histoire particulière :
il s’agit d’un Christ en croix anonyme daté du début du 19ème siècle. Ce tableau
avait été donné en 1800 par Laetitia Bonaparte à Monseigneur Jean-Baptiste Royer,
archevêque de Paris, après la confirmation des sœurs de Napoléon. Après le décès
de l'archevêque en 1807, le tableau revint à sa nièce, Jeanne Puvis, puis aux
enfants de cette dernière en 1822. C'est l'un de ses fils, Théobald Puvis, économe
de l'établissement et auteur du premier inventaire des archives, qui donna le
tableau à l'hôpital en 1866.
Petite parenthèse pour évoquer ce personnage
qu’était Jean-Baptiste Royer… Né le 7 octobre 1733 à Cuiseaux d’un père médecin,
il effectua ses études dans son village natal puis au collège des Joséphistes
à Louhans. Entré dans les ordres, il devint curé de Chavannes-sur-Suran (01).
Élu député suppléant du clergé aux États généraux, il fut admis à siéger le
1er mars 1790 à l'Assemblée constituante. Il prêta serment à la Constitution
civile du clergé et fut élu évêque de l'Ain en février 1791. Élu député de l'Ain
à la Convention nationale, il siégea parmi les modérés. Fin 1794, il constitua
le groupe des « Évêques réunis à Paris » qui se donna pour mission de régénérer
l’Église de France gravement affaiblie par la campagne de déchristianisation
et les démissions d’évêques et de prêtres. Élu par ses collègues au Conseil
des Cinq-Cents, il y siégea jusqu'au 20 mai 1798, devint évêque constitutionnel
de Paris, et fut installé à Notre-Dame de Paris le 25 août 1798. Compromis dans
le discrédit de l'Église constitutionnelle, il démissionna en 1801 et se retira
à Cuiseaux puis à Besançon où il devint chanoine. Royer adressa au pape la rétractation
de ses serments révolutionnaires, et se voua, dans les dernières années de sa
vie, au service des malades.
Autre curiosité : l’apothicairerie de l’hôpital,
aménagée entre la seconde moitié du 18ème siècle et la première moitié du 19ème
siècle. Dans une pièce toute agrémentée de boiseries sont disposés pilulier,
mortiers et pilons, chevrettes, pots divers, fauteuils de malade, brancard et
autres instruments nécessaires aux soins octroyés autrefois aux résidents de
l’hôpital de Cuiseaux.
La chapelle de l’hôpital où veille Sainte-Marthe.
L’apothicairerie de l’hôpital avec ses boiseries et pots à pharmacie.