Traditions Bressanes / Lieux de mémoire, mémoires des lieux…

Du côté de l’enfer…  2 avril 2010
Drôle de nom que celui de « Rue d’Enfer » pour une rue menant à l’église ?... Ce nom lui a été attribué car il s’agissait d’une rue sale, nauséabonde et si étroite que des piquets auraient été installés à ses extrémités afin que les chevaux ne l’empruntent pas.
Les maisons qui la formaient étaient semblables à toutes celles du quartier et sans doute de la cité : étroites, serrées mais profondes d’où un intérieur obscur et mal aéré. Les façades étaient en pans de bois remplis de briques et torchis et arboraient de petites niches destinées à accueillir statuettes de madones et de saints, comme c’était l’usage dans la Comté. Les toits devaient être en chaume et percés d’un trou par où s’échappait la fumée du feu confectionné dans la pièce principale et sensé chauffer toute la maison.
Outre la présence du cimetière et d’une sorte de marais, le quartier était le siège de l’un des établissements publics de la ville, la « tuerie ». Ces abattoirs et cuisines destinées à saler la viande des habitants ont repris l’emplacement des anciens fours des moines, premiers seigneurs de Louhans, entre l’église et la Grande Rue. L’actuelle « Rue des Cuisines » en est le vestige. Il faut l’imaginer à peu près identique à la « Rue d’Enfer », toutes deux possédant des maisons à arcades.
De l’autre côté, la « Rue d’Enfer » débouchait entre « Rue Haute » et « Rue Basse » sur une placette dédiée au marché et qui se prolongeait par la Grenette, la halle aux grains où en on faisait commerce. Du 16ème siècle au début du 18ème siècle, cet espace central de la cité consistait en une place surmontée d’une halle et agrémentée d’un puits.

 

La « Rue des Cuisines », emplacement de l’ancien abattoir de la cité médiévale.

 

De nouveaux aménagements   9 avril 2010
Les premiers gros travaux de réaménagement du quartier de l’église eurent lieu à partir de 1719, date à laquelle ont fit percée une porte dans le rempart en direction de la « Rue des Bordes » : la « Porte des Bordes ». Cela faisait déjà quelques temps que les habitants la réclamaient afin d’accéder plus facilement au côté sud des faubourgs comme le reprend Lucien Guillemaut d’après des archives :
« Elle fera (…) l’embellissement de la ville et une desserte heureuse à tout le pays (…) : les moyens en seront très faciles, n’y ayant qu’à rompre les murailles de la ville pour en faire l’ouverture. »
L’année suivante, quelques masures furent détruites afin de déplacer la halle à l’arrière de l’église. De ce fait et afin d’en faciliter l’accès, on fit élargir la « Rue d’Enfer » qui se mua en « Rue Neuve » et de nouvelles maisons à arcades furent bâties à l’emplacement de l’ancienne halle. Dans les années 1760-1790, les abattoirs furent détruits et transférés à l’emplacement de l’ancienne maison de ville dans une rue appelée « Rue Des Boucheries ». Elle devint, comme aujourd’hui, « Rue des Vielles Boucheries » lorsque les abattoirs furent à nouveau déplacés.
De 1762 à 1765, une maison destinée à abriter la mairie fut aménagée sur la « Porte des Bordes ». L’édifice conserva son aspect de porche alors qu’une tour située à proximité renfermait la prison de la ville. Les remparts, dont l’utilité était plus que désuète, furent démolis le long de l’église ou servirent de base à la construction de maisons. Enfin, en 1830, la halle fut démontée et remplacée par des maisons, réduisant ainsi la place située à l’arrière de l’église aux dimensions que l’on connaît actuellement de la « Place du Général de Gaulle.

 La « Rue des Vieilles Boucheries » conserve le souvenir de cette activité aux abords du bourg médiéval.

 

L’église de « Villa Lovincum »  16 avril 2010
Après nous être intéressés au quartier de l’église, attardons-nous quelque peu sur son bâtiment central : l’église.
Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer la présence d’une église dédiée à Saint Martin dès le 9ème siècle. Elle se situait à l’emplacement de l’église louhannaise actuelle, ce type d’édifice ne changeant généralement assez peu de place d’une construction à une autre.
Il faut rappeler que les lieux de culte constituaient souvent l’élément le plus ancien d’un village. C’est autour d’eux que se sont formés les cités et leur esprit, les villageois étant, avant d’être des « citoyens », des « chrétiens ».
A l’époque médiévale, l’église est le symbole matériel de la société et le centre des relations sociales. Tous les actes entre les bourgeois et leurs seigneurs s’y déroulaient comme lorsqu’Henri d’Antigny accorda les franchises à la ville de Louhans en 1269. Ces « cérémonies » avaient lieu après l’office, au pied de l’autel et étaient jurés sur les Saints Evangiles.
La fondation de l’église Saint Martin reste obscure : il en est fait mention dans l’acte de donation de la cité entre Louis le Bègue et les moines de Tournus en 878. Aurait-elle été fondée par saint Martin lors de son passage dans la région en 376 afin d’évangéliser la province ou l’a-t-elle été plus tard en souvenir de son zèle apostolique ?
De même, on ne sait pas exactement à quel moment l’église passa sous le patronage de saint Pierre. Peut-être au 12ème siècle lorsque l’évêque de Besançon en réclame la propriété : dans un traité de 1233 elle est désormais appelée « église Saint Pierre » et le restera jusqu’à nos jours.

 

Au 14ème siècle, le clocher de l’église Saint Pierre surplombe les toitures de la cité louhannaise
(gravure extraite de
L’Histoire-Album de la Bresse Louhannaise, Lucien Guillemaut, 1911).

 

1370 : Louhans à feu et à sang   23 avril 2010
Le 23 juin 1370, la cité de Louhans est mise à mal par les « Grandes Compagnies » ou « Ecorcheurs ». Les Grandes Compagnies étaient des bandes armées formées d'anciens mercenaires qui sévirent en France aux 14ème et 15ème siècles.
Au Moyen Âge, lorsque le roi devait partir à la guerre et qu'il ne pouvait se suffire de l'armée de ses vassaux, il recrutait des mercenaires : c’est ce qui se passa pour la guerre de Cent Ans (1337–1453). Lors des périodes de paix ou de trêve, ces mercenaires sans emploi se regroupaient en bandes et vivaient de pillages et de rançons. Ces bandes mirent à mal les campagnes françaises, pillant, violant, brûlant et tuant à satiété. Elles sévirent dans le Berry, en Languedoc, en Auvergne, en Albigeois et en Bourgogne.
En 1370 donc, 30 000 de ces hommes (anglais, gascons, navarrais… de la compagnie dite « des Ecorcheurs ») traversèrent notre région. Une partie d’entre eux s’arrêta, logeant notamment à Sagy et commettant des méfaits aux alentours.
Le 23 juin 1370, ils incendièrent la ville de Louhans. Les maisons partirent en fumée tout comme l’église et sa chapelle attenante, la « chapelle des Fours », dont nous ne connaissons rien de sa fondation qui eut sans doute lieu quelques temps après la mort d’Henri d’Antigny.
Cependant, nous savons par des textes que cette dernière venait de voir ses vitraux changés (en même temps que celles du château des seigneurs de Louhans) et que l’office était assuré par Pierre de la Chapelle, curé de Châteaurenaud. Ce dernier devait y chanter trois messes par semaine pour un salaire de 13 florins par an.

Les petites échoppes de la Grande Rue partirent elles aussi en fumée en 1370
(gravure extraite de
L’Histoire-Album de la Bresse Louhannaise, Lucien Guillemaut, 1911).

 

Transformations et aménagements  30 avril 2010
Les murs de l’église de Louhans portent les traces de l’Histoire et de remaniements successifs. Ainsi, le promeneur sera peut-être étonné de rencontrer des tours sur l’un des flancs de l’édifice. Nul élément de défense mais simple marque d’apparat et de puissance. A l’origine, ces deux tours adjacentes à la chapelle des seigneurs de Ratte, en la chapelle seigneuriale, interviennent comme une marque féodale symbolisant la destination de l’espace proche, à savoir un oratoire seigneurial.
N’oublions pas que jusqu’à la fin du 18ème siècle, un lien très étroit exista entre l’administration communale et paroissiale et donc entre autorités civiles et religieuses : la puissance et la présence des seigneurs locaux pouvaient ainsi transparaître jusque dans la forme des édifices de culte.
Typique du 16ème siècle, ces deux tours existent encore de nos jours. L’une est de plan carrée et abritait deux chapelles superposées. Le rez-de-chaussée était voûté d’ogives et contenait sans doute un autel, la présence d’une fontaine à ablutions le laissant supposer. Trente-six marches d’escaliers plus haut, une seconde chapelle sans autel s’y trouvait.
L’autre tour, la plus visible, est de section ronde surmontée d’un toit conique : ce type de tour est dit « poivrière ». Ses murs sont percés de petites baies similaires à des meurtrières mais permettant simplement d’apporter de la lumière à l’escalier qu’elle renferme.
Pendant la Révolution, ces deux tours ont servi de magasins d’armes, renfermant une partie des biens confisqués à la noblesse et au clergé.    

 La poivrière de l’église Saint Pierre se remarque encore bien de nos jours.