« Je ne cherche plus à comprendre… » 2 octobre 2009

Il n’y avait pas non plus de gaz. Pour faire chauffer le lait des biberons, il fallait allumer le poêle (à bois, bien sûr). Puis il y a eut les petits réchauds à alcool pour les biberons. Le lait des vaches était bouilli (il débordait souvent). Premier réchaud à gaz : 1949 (deux brûleurs).
Première machine à laver : 1960. Anecdote : petit garçon, mon fils, n’aimait pas se laver dans un baquet. Entendant parler de machines à laver, il s’est écrié en pleurant : « Quand on aura une machine à laver, ça sera bien mieux ! »
Avant, le linge était frotté à la main dans un baquet avec brosse et savon. Les draps et le linge blanc étaient bouillis sur le poêle dans la lessiveuse avant d’être rincés : il en fallait du temps et des peines ! Les draps étaient lourds, imbibés d’eau pour les jeter dans la mare et les battre pour extraire le savon.
Et l’hiver, dans l’eau glacée, que les mains étaient donc gelées, à faire mal… Les femmes d’aujourd’hui ne peuvent pas se rendre compte de la chance qu’elles ont d’être nées cinquante ans plus tard, et c’est tant mieux. Elles ont peut-être d’autres inconvénients que nous n’avons pas eu, nous les femmes du début du 20ème siècle.
Quand on pense à tout ce qui s’est fait durant ce siècle, des progrès de toute matière : inimaginables, on en a le vertige. Comment des humains peuvent-ils concevoir et réaliser tout ce qui existe aujourd’hui ? Sans parler de la médecine et ses dérivés… Nous ne pouvons que les admirer, sans pouvoir comprendre.
Un siècle, ce n’est pourtant pas si long, à peine plus qu’une vie ! J’ai quatre-vingt-dix ans et je me sens bien petite à côté de tout cela. Je ne cherche plus à comprendre… »

 Intérieur paysan en 1900 d’après L’Imagier de l’enfance
(illustration extraite de
Les fermes d’autrefois, Edouard Lynch, page 137).

« Lampe, allume-toi ! » 8 octobre 2009
Encore quelques souvenirs de Madame Pageaut de Sainte-Croix (car il s’agit d’elle) concernant l’arrivée de l’électricité…
« Il n’y a pas beaucoup de personnes qui se sont éclairées avec une lampe à pétrole qui peuvent en parler. Je suis certainement dans les dernières qui peuvent se souvenir.
La lampe était pendue au-dessus de la table pour manger, elle était mise à côté du poêle pour veiller. La nuit, maman avait une petite lampe à essence vers son lit. Lorsque l’on voulait se lever, on l’appelait : que de fois on l’a réveillé ! Pauvre maman ! On entendait gratter l’allumette…
J’avais environ onze ans lorsqu’ils ont mis l’électricité. J’étais à l’école lorsqu’elle a été installée. En rentrant, la nuit tombait. Mon frère, de trois ans mon aîné, guettait mon arrivée : « Attention Dédée, je vais faire une magie : lampe, allume-toi ! » Il tourne le bouton qu’il dissimulait derrière son dos et tout fut éclairé beaucoup plus qu’avec la lampe à pétrole. C’était presque du miracle ! Les coins sombres qui m’effrayaient quand la nuit tombait étaient éclairés. Dans la grande pièce mal éclairée, j’ai eu souvent peur dans le noir… »
Merci à Madame Pageaut pour ses souvenirs qui nous éclairent (c’est le cas de le dire !) avec des mots simples et des émotions encore bien présentes sur le quotidien d’il y n’y a pourtant pas si longtemps et que l’on nomme déjà aujourd’hui « traditions » ou « folklore »…

 

C’est sans doute ce genre de lampe à pétrole qu’allumait la maman de la narratrice  (illustration extraite de Objets de nos campagnes, Bernard Briais, page 175)

 

« Je vous parle d’un temps… »  16 octobre 2009
Les deux témoignages rapportés dans ces lignes depuis plusieurs semaines nous amènent à évoquer quelque peu les transformations survenues au début du 20ème siècle.
Nous avons l’habitude de parler de « l’ancien temps », des coutumes « d’autrefois »… mais à quelle période faisons nous vraiment référence ? Il est d’usage, lorsque l’on ne l’a pas vécu, d’idéaliser le temps des traditions et des veillées car sans stress, sans crise (quoi que, celle de 1929 soit là pour nous démontrer le contraire)… C’était sans compter sans la vie rude et le « confort » plus que rudimentaire des fermes, ni des maladies, des conflits (la guerre de 1870, la première guerre mondiale)…
Un changement plus ou moins brutal s’est opéré dans les mentalités et le quotidien des ruraux, (en Bresse comme dans d’autres régions françaises) après 1918. Au front, les hommes se sont éloignés de leur village, ont rencontré des hommes de toutes conditions, toutes origines, ont entendu parler d’autres dialectes que le patois, ont été en contact avec quelques innovations mécaniques et surtout, ont vécu ce qui restera comme la plus grosse boucherie du siècle (vie dans les tranchées, combats, pertes de camarades, morale brisé…)
A l’arrière, les femmes ont dus prendre des initiatives, travailler là où d’habitude elles n’allaient pas, et pour nombre d’entre elles, ont du élever seule leur famille lorsque le mari n’est jamais rentré de la guerre.
Tous ces éléments, et bien d’autres, sont des facteurs annonçant l’arrivée du progrès et de la nouveauté au sein des exploitations bressanes.          

L’apprentissage du métier de fermière, Edouard Debain-Ponsan (1847-1913)

 Le temps de la cohabitation  23 octobre 2009
Au début du 20ème siècle, progrès et tradition vont cohabiter au sein des fermes bressanes. « Cohabiter » est ici plus qu’une image car bien souvent encore, vivaient sous un même toit jeune et ancienne génération : lorsqu’un couple se mariait, il était d’usage d’aller s’installer soit dans la famille de l’époux soit dans celle de la femme afin de continuer à travailler la terre de la ferme.
Dans les années 1920 et 1930, on commence à parler d’électricité et d’appareils ménagers : bien que peu de foyers bressans soient au fait de l’actualité, on écoute, on s’informe, on se renseigne, bref on cause un peu de tout ce « progrès » propre à améliorer le quotidien.
Si le quotidien du foyer semble en voie de modernisation (boules à laver, radio, éclairage à l’électricité…) celui de la ferme fait de même. Les deux décennies qui vont suivre la fin de la première guerre mondiale vont être celles de la mécanisation, de l’intensification de la production grâce aux engrais par exemple et de l’ouverture vers l’extérieur.
Ces changements en entraînent d’autres au quotidien mais aussi dans la vie familiale et sociale, les loisirs et les moments de détente prenant petit à petit un peu plus de place.
En plus des fréquents conflits qui pouvaient intervenir entre une belle-mère et sa bru, il faut désormais ajouter ceux provoqués par des divergences de pensée quant à l’activité agricole.

Le progrès du machinisme agricole se fait tout d’abord par la petite mécanisation (illustration extraite de Histoire de la France rurale, sous la direction de G. Duby, page 63)

Travaux d’hiver : la coupe du bois de chauffage  30 octobre 2009
Avant que les tracteurs et autres innovations mécaniques n’arrivent, quels étaient les travaux réalisés par les Bressans en période hivernale ?
L’une des premières préoccupations était de préparer la réserve de bois pour le chauffage. La coupe du bois de chauffage se faisait dans les parcelles personnelles privées, dans les bois communaux lorsque des coupes étaient autorisées ou dans certains bois où s’exerçait un privilège un peu particulier. C’était le cas au hameau de Tagiset, entre Sainte-Croix, Frontenaud et Varennes qui fut une commune libre à l’époque révolutionnaire. De cette histoire, il en est resté un bois « communal » de Tagiset dans lequel les habitants de ce hameau venaient se servir de façon plus ou moins régulière.
En plus des bûches de bois, on en profitait pour confectionner les fagots qui serviraient à allumer le poêle de la maison, le four à pain ou la chaudière pour la nourriture des animaux. La confection des fagots relevait d’un véritable savoir-faire, comme l’est aujourd’hui la plupart des gestes quotidiens de nos aïeux. Avant l’apparition de la fagoteuse, le bressan préparait deux liens, habituellement un en chêne que l’on tordait à même le fagot et un autre en noisetier, en forme de boucle. On plaçait le bois sur ces deux liens que l’on serrait par la suite. Les branches de bouleaux trop petites pour être fagotées étaient mises de côté pour la fabrication des bouleaux.


Le charroi de fagots par Maison de Pays en Bresse (illustration extraite de C’était hier, Mémoire de la Vie Bressane par les Gens du Pays)