Traditions
Bressanes / Les commerces
Du
grain à moudre et des meules à rhabiller… 6 septembre 2008
Mais
si on entendait des rires, on entendait surtout le bruit des meules actionnées
à l’intérieur de la bâtisse. C’est à l’époque carolingienne que se multiplient
les premiers moulins à eau mais l’installation d’un tel bâtiment demandait un
investissement important que seule l’aristocratie pouvait supporter. C’est donc
le seigneur qui édifiait le moulin sur ses terres et en prélevait une sorte
d’impôt, une « banalité », appelée « émoulument » : le
paysan était obligé d’utiliser le moulin seigneurial pour moudre son blé et
confectionner son pain et le meunier prélevait aussi pour le seigneur 1/24 de
la farine de la mesure moulue.
Dans
l’Ancien Régime, en effet, le meunier moud le grain à façon offrant ses
services contre rémunération : c’est de la mouture de pratique dont dépend
la production et la consommation du pain de ménage mais le meunier ne peut en
aucun cas user de son savoir pour exercer le métier de boulanger, et vice versa
d’ailleurs.
Malgré
sa haute fonction et son rôle primordial au sein de l’économie familiale mais
aussi villageoise puisque c’est lui qui jouit des droits d’eau, le meunier,
entre le Moyen-âge et la Révolution, est jalousé. On lui donne du
« Messire » ou « Maître » et, bien qu’issu du peuple, il
fait partie des notables. Beaucoup ont mauvaise réputation notamment à cause du
mode de paiement en nature où il serait aisé de prélever plus que son dû :
« Sous la peau d’un meunier, on est toujours sûr de trouver un
voleur », dit un proverbe.
N’empêche
que le meunier passait aussi pour un sorcier, un guérisseur, comme le
forgeron : on lui attribuait le pouvoir, hérité de son patron saint Martin, de guérir
l’enchape, maladie des ganglions. Il peut aussi faire disparaitre les
rhumatismes en frappant la partie malade à l’aide de son marteau à rhabiller.
Car
si c’est tout un savoir de transformer le blé pour nourrir ses semblables, il
en est un autre de rhabiller les meules. Le principe de la mouture est
simple : le grain s’écoule entre des meules, du centre à leur périphérie
pour extraire le gluten de son enveloppe puis l’écraser de plus en plus
finement. Pour ce faire, les meules sont striées selon un dessin particulier
devant être entretenu régulièrement. Ce rayonnage (nom donné au dessein) est
« repiqué » tous le sans pour palier à l’usure effaçant les stries.
Le « rhabillage » avait lieu plus souvent : à l’aide de marteaux
spéciaux, on cure les sons incrustés dans le rayonnage. C’est un vrai savoir
qu’exerçaient des spécialistes offrant leurs services de moulin en moulin ou
que le meunier maîtrisait lui-même.
Rhabillage des meules par un meunier dans les
Landes
(illustration extraite de Objets de nos campagnes,
Bernard Briais, page 47).
Moulins
de Bresse 13 septembre 2008
En
Bresse, les moulins étaient nombreux du fait de l’omniprésence de l’eau. Trois
types de structures existaient, utilisant toutes les forces hydrauliques :
les moulins sur rivière ou sur ruisseau, les plus courants ; les
moulins-étangs ou à ban sur plans d’eaux naturels ou artificiels ; et
enfin les moulins à nef appelés également moulins flottants ou moulins-bateaux.
Présents autrefois sur la Saône et dans la basse vallée du Doubs, ces bâtiments
étaient amarrés et avaient l’avantage de suivre le mouvement des cours d’eau
sans gêne des crues. Deux moulins à nef ont subsisté en Bresse jusqu’au 20ème
siècle : le moulin de Navilly démonté en 1915 et celui de Pontoux, démoli
en 1923.
Enfin,
à l’importance des moulins en Bresse se lie la consommation d’un produit-phare,
les gaudes, qui nous a valut le surnom de « ventres jaunes ». Depuis
l’introduction de maïs en Bresse au 17ème siècle, cette production
s’est insérée dans le quotidien des Bressans aussi bien pour l’engraissement
des volailles que pour la consommation humaine notamment à travers les gaudes,
terme désignant à la fois la farine de maïs préalablement torréfiée et la
bouillie faite avec elle. La mouture des gaudes exigeait un savoir-faire
particulier : déjà, on la travaillait en petite quantité, en fonction de
la quantité apportée par chaque famille ; ensuite la mouture
nécessitait une finesse de grain supérieure
à celle du froment d’où l’utilisation d’une paire de meules rhabillées selon un
rayonnage différent, spécifique à cet usage.
Autrefois
base de l’alimentation en Bresse due à son faible coût de préparation mais
aussi à son aspect compact « tenant au ventre » comme on dit, les
gaudes étaient un féculent pouvant parfois remplacer le pain. On en mangeait
matin, midi et soir, parfois agrémentées de lait, de sucre… pour varier un
peu : c’était en quelques sortes le plat quotidien, presque le plat du
pauvre. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, on s’est remis à en consommer pour
palier aux restrictions et rationnement. De nos jours, elles sont remises à la
mode grâce à certaines minoteries produisant la farine mais également en
accompagnant le produit de sa torréfaction à son aboutissement : la farine
sert à faire des liants, est ajoutée à d’autres ingrédients en pâtisserie, sert
de panure à la friture ou aux cuisses de grenouilles mais on trouve aussi des
petits gâteaux à base de gaudes et même de la bière ! On n’arrête pas le
progrès…
Le moulin de l’Abergement est l’un des moulins rythmant les cours d’eau traversant Sainte-Croix.
Savoir « dire la
terre » / Les commerces 20
septembre 2008
Quoi de plus important dans une
région rurale et agricole que la connaissance de la terre, sa connaissance
physique et visuelle : c’est pourquoi la fonction d’arpenteur était
privilégiée.
Etant donnée cette importance
de « dire la terre », l’arpenteur constitue l’un des plus vieux
offices existant sous l’Ancien Régime. Se côtoyaient alors arpenteurs des Eaux
et Forêts et arpenteurs experts : les premiers devaient, au moins une fois
par an, visiter les lisières des forêts royales et vérifier bornes et
fossés ; les seconds, au nombre de deux dans chaque baillage ou sénéchaussée
et d’un dans chaque ville ou bourg, se voyaient attribuer les arpentages et
évaluations des terres, prés, bois, vignes et forêts des particuliers.
Dotés d’un matériel simple
constitué principalement de jalons ou de mesures diverses, son rôle était
pourtant on ne peut plus important puisque c’est à lui – ancêtre du géomètre –
que revenait parfois de régler des conflits entre propriétaires, de borner des
parcelles à diviser entre héritiers…
Il lui fallait également une
bonne connaissance de la région où il exerçait notamment à cause de la variété
des mesures employées. En effet, sous l’Ancien Régime, chaque contrée, parfois
chaque village pouvait avoir un système de mesures propre, un simple cours
d’eau faisant parfois office de frontière. En plus de la multiplicité des
termes existants, certains pouvaient évoquer une mesure différente selon que
l’on parle de la longueur d’un terrain ou de tissu, d’une mesure de grains ou
de liquides… Arpent, soiture, journal, brassée, coupe…, l’arpenteur devait pouvoir
s’y retrouver : il mesurait à l’aide des étalons locaux avant de convertir
ses notes en pieds royaux.
On imagine bien, même au
quotidien pour les simples villageois, les difficultés à communiquer sur les
foires par exemple : certains cahiers de doléances en 1789 réclament
alors une uniformisation des poids et mesures ce qui sera fait le 8 mai 1790.
La Constituante confie alors à l’Académie des Sciences et à de grands savants
comme Monge le soin de mettre en place un nouveau système de mesures. Le mètre
est adopté comme unité de longueur le 1er août 1793 et le système
métrique rendu obligatoire le 7 avril 1795. Mais il faut attendre 1837 pour
considérer ce changement généralement admis : on s’habitue à parler en
mètres, grammes, litres, stères ou ares et la toise, le denier ou l’arpent ne
sont alors employés dans le langage courant qu’à travers des proverbes ou dans
certaines familles où l’habitude est restée d’usage.
Avant l’uniformisation du système métrique, le grain était mesuré à l’aide de coupes différentes d’un endroit à un autre (illustration extraite de Objets de nos campagnes, Bernard Briais, page 48).
Histoires de familles… / Les commerces 27
septembre 2008
Après
avoir évoqué le travail de l’arpenteur sachant « dire la terre »,
intéressons-nous à celui sachant lire et rédiger les actes importants de la
vie, le notaire.
Le notariat tel qu’on le conçoit aujourd’hui est né en Italie aux 12ème -
13ème siècles avant de s’étendre au Royaume de France via le Midi.
Trois types de notaires coexistent alors : le notaire ecclésiastique,
seigneurial ou royal, chacun dépendant et s’occupant des affaires de l’Eglise,
du seigneur ou du Roi. Après la Révolution, ces distinctions n’existent plus, seule
demeure la différenciation de compétences : pour être valable, un acte
devait être fait dans une zone géographiquement bien limitée ; aujourd’hui
les notaires peuvent agir sur tout le territoire français quel que soit
l’emplacement de son étude.
A l’origine, le notaire est ambulant : il est présent sur les foires, les
marchés dans un petit box où les passants peuvent recourir à ses
services ; les études n’apparaîtront qu’au moment où des clercs seront
dévoués à aider les notaires dans leur travail quotidien, au 18ème
siècle.
La situation sociale du notaire variait en fonction de la région dans laquelle
il exerçait : fonction accessible en passant un examen devant ses pairs,
le notariat avait l’avantage de permettre à un jeune travailleur et ayant des
capacités intellectuelles d’accéder à ce poste. Cependant, les juristes sortis
de l’Université dénigraient quelque peu ces « gratte-papiers »
surtout s’ils exerçaient en milieu rural.
C’est justement en milieu rural que le notaire tient une place
importante : il est souvent le seul à savoir lire avec le curé et c’est à
lui que se remet une famille entière par la rédaction des grands actes de leur
vie. Sorte de législateur privé, il conseille et oriente les parties et joue un
rôle considérable dans la transmission des biens, la pérennité de la
famille et l’exécution post mortem des vœux de ses clients.
Le notaire établit essentiellement des contrats d’achat et de vente, des
testaments, des inventaires après décès et des contrats de mariage : ces
trois derniers documents constituent des sources considérables pour le travail
des historiens ou généalogistes. Avec le testament, on connaît les volontés de
l’intéressé et on peut supposer selon celles-ci s’il est catholique,
janséniste, protestant… L’inventaire après décès permet de connaître tous les
biens d’un homme à un moment précis de sa vie : il nous éclaire sur la
façon de vivre au quotidien par la présence, l’absence ou l’importance de
certains biens. Enfin, le contrat de mariage donne énormément d’informations
sur les familles impliquées et parfois sur les raisons d’une union : si
une sœur et un frère épouse au même moment un frère et une sœur, on peut
supposer qu’il y a eu échange de dots…
Tous ces documents se transmettaient de génération en génération, rangés dans
un lieu sûr ou bien même en l’étude du notaire chez qui la famille allait et
qui, en cas de cessation d’activité de ce dernier, allait chez son successeur.
Dans
l’étude de ce notaire des années 1950, s’affairent les clercs
(illustration extraite de Hier,
nos villages, Aude de Tocqueville, page 55).