Traditions Bressanes / Les commerces

Du chirurgien-barbier au médecin  4 octobre 2008
Après avoir évoqué la semaine dernière la place du notaire au village, nous allons désormais nous intéresser à différents personnages clés de la vie communale en milieu rural, à commencer par le médecin.
Contrairement à aujourd’hui, où statistiquement la crise des vocations de médecins souhaitant exercer à la campagne est flagrante, autrefois on avait recours aux soins de ce dernier qu’en cas d’extrême nécessité.
Avant la Révolution, le nombre de médecins en France est infime : il faut faire de longues études coûteuses dans l’une des trois facultés dispensant des cours (Paris, Strasbourg et Montpellier) le tout avec un enseignement peu performant. Il était alors plus aisé de devenir chirurgien, ce dernier ne soignant que les plaies externes.
Jusqu’en 1714, chirurgiens et barbiers sont considérés comme étant une seule et même profession, les chirurgiens-barbiers ayant pour fonction de raser, saigner, purger et soigner les petits mots quotidiens. Ayant moins de connaissances, ils sont pourtant plus souvent sollicités que les médecins en milieu rural car non seulement leurs tarifs sont moins dissuasifs mais surtout ils sont plus proches du peuple. Bien souvent, ils exercent dans leur région d’origine, ils sont fils de commerçants ou d’artisans du village, ils parlent le patois…
Appelés chirurgiens de « légère expérience », ils pratiquent souvent une autre activité pour survivre. Ces médecins du peuple parlent le même langage que leurs clients, ils se vêtent de la même manière et partagent leurs habitudes et coutumes mais leurs compétences se résument essentiellement à la lancette (instrument à lame plate utilisée pour la saignée et pratiquer de petites incisions) et au clystère pour effectuer des lavements.
Une première grande réforme apparaît grâce à Louis XIV qui ne fait qu’une seule discipline des deux matières, chirurgie et médecine. Puis la Révolution fait table rase des organisations passées, même les hôpitaux sont vendus et il suffit de payer une patente pour avoir le droit de pratiquer en tant que médecin… Inutile de dire que cette législation ne dura pas longtemps, juste le temps de voir apparaître de nombreux charlatans…
Par la suite, une deuxième catégorie de médecins est créée : à côté des « grands » suivant les cours dispensés à des prix exorbitants pour l’époque (1 000 à 1 500 francs par an), on instaure un corps d’officier de santé, praticiens de « second rang » ayant réussi un examen après trois ans d’études (200 francs par an) ou cinq ans de pratique dans un hôpital ou six ans d’apprentissage chez un docteur. A l’image du Docteur Bovary de Gustave Flaubert, ces officiers ne peuvent exercer en dehors de leur département d’origine et doivent recourir à l’aide d’un docteur « véritable » pour les opérations importantes.

 

 

Un médecin de campagne auscultant son patient à la lueur de l’ampoule de la pièce commune de la ferme (illustration extraite de Hier, nos villages, Aude de Tocqueville, page 57).


La venue du médecin… juste avant celle du prêtre…11 octobre 2008
Malgré ce choix entre grands et petits médecins si l’on puit dire, les consultations du médecin se font très rares à la campagne. N’ayant pas forcément les moyens financiers nécessaires à la rémunération de l’homme de sciences, on rechigne à faire appel à ses services ou alors on le paye quand on le peut ou en nature, en lui donnant des volailles, des légumes, des œufs frais…
De plus, on se méfie un peu de ses remèdes, on préfère faire appel à ce qu’on connaît : au rebouteux, au prêtre, aux préparations de la voisine ou à ceux inscrits dans des ouvrages tels que Le Médecin des Pauvres ou même aux livres semi magiques recelant de sorts et potions diverses léguées par une aïeule. Ainsi, d’après l’ouvrage cité ici, pour soigner les coupures, « on fait le signe de la croix avec l’outil que l’on s’est coupé, et on dit cinq Pater et cinq Ave Maria, ensuite l’on rapporte les deux chairs l’une contre l’autre, que l’on enveloppe avec un linge d’homme blanc de lessive et vous le laisserez quarante-huit heures sans le développer et il sera guéri ».
Autre remède, celui pour guérir les verrues : « Lorsqu’on en a une quantité, vous allez le matin avant le lever du soleil dans un champ d’avoine ; vous couperez les pailles sans les compter, et sans compter les verrues que vous avez ; vous vous servez du nœud du milieu, vous pressez une paille et vous frottez légèrement sur la verrue, vous la mettez de côté et vous en prenez une autre que vous frottez sur une autre verrue et ainsi de suite, vous continuez cette opération tant que vous avez des pailles et des verrues. Vous ferez un trou en terre et vous les couvrirez à mesure que les pailles pourriront, vos verrues s’en iront. En vous en allant, le premier genêt que vous trouverez, vous le tordrez entre deux terres, vous le laisserez ; vous en trouverez un plus loin, ça n’y fait rien ».
Au début du 20ème siècle, on fait plus facilement appel au vétérinaire pour soigner une bête malade que le médecin pour se soigner soi-même. Lorsque l’on faisait appel à lui, souvent le cas semblait déjà bien désespéré et à la visite du médecin suivait celle du prêtre… venant donner l’extrême onction.       

 

Au début du siècle, une série de cartes postales comme celle-ci a raillé l’intervention des rebouteux
(illustration extraite de Les fermes d’autrefois, Edouard Lynch, page 71).


Le prêtre, confident des âmes   18 octobre 2008
A l’image du clocher de l’église surplombant le bourg du village, le curé est un personnage incontournable de la société villageoise rurale.
Tout le monde le connaît et il connaît tout le monde, par la confession il sait ce qui se trame dans le cœur de chacun, il fait partie de la vie parfois très intime de ses ouailles… C’est lui qui fait le catéchisme aux enfants, essayant de leur inculquer la bonne parole. Suivant son caractère, son tempérament, il se fond dans la communauté villageoise, va même parfois au café.
Au contraire, il peut réprimander ceux qu’il considère peu pratiquants et note sur les murs de la sacristie le nombre de participants hommes et femmes pour chaque office et fête, fait des remontrances sur le comportement de certains jeunes amoureux et dès qu’il le peut, échange des mots acerbes avec l’instituteur, sa bête noire. Dans cette bataille rangée (quand elle avait lieu), les enfants étaient bien souvent les victimes : les jours de catéchisme, les écoliers partaient rejoindre entre midi et quatorze heures le curé dispensant son enseignement. Si l’instituteur tardait à libérer les enfants à midi, le prêtre faisait de même la semaine suivante à quatorze heures…
Ceci n’était pas de mise tout le temps et partout : la caricature de don Camillo n’est ici pas très loin… Cependant chacun se souviendra d’un prêtre assez effacé de la vie communale ou au contraire l’animant. A Sainte-Croix, beaucoup se souviennent de personnages tels que l’abbé Boyer ou l’abbé Barouin, très proches des villageois, pratiquants ou non, amis avec la municipalité et l’instituteur, organisant des kermesses, des représentations théâtrales, des soirées cinéma, des voyages pour les enfants…
La vie du prêtre était rythmée par les différents offices, par le son de la cloche actionnée par le marguillier, par les confessions, les cours de catéchisme et bien sûr par les sacrements. Vivant à la cure, il était secondé dans ses taches ménagères par sa bonne, fille du pays que l’on choisissait en général déjà âgée pour éviter les commérages… Le dimanche midi, il était invité à la table du châtelain pour partager le repas familial sous sa bénédiction. Parfois, il était invité par d’autres familles du bourg ou des commerçants, très croyants et partageant les mêmes convictions.

 

Le prêtre avait en charge l’éducation religieuse des enfants du village 
 « Le catéchisme », tableau de Meunier publié dans Le petit Journal en juin 1889.


Le curé de campagne, témoin de la vie de ses paroissiens  25 octobre 2008
Pays chrétien, la France comptait en 1789 170 000 prêtres et religieux dont 60 000 curés : après la Révolution, en 1809, on n’en compte plus que 31 000 dont à peine plus d’un millier de moins de quarante ans. Cette période a été fatale à la dévotion religieuse : les offices étaient interdits, certaines familles cachaient des prêtres et organisaient en secret des célébrations. La commune de Varennes-Saint-Sauveur garde le souvenir de ces offices clandestins et d’une « cache aux prêtres » situé au Bois Demonde.
On a également mis à terre les croix de calvaires et changé le nom des villages à consonance religieuse : Sainte-Croix est ainsi devenu Solnan pendant la période révolutionnaire, du nom du cours d’eau traversant le bourg. Après cette période, le travail fut dur pour les prêtres pour essayer de ramener la foi dans les chaumières : certaines familles ne pratiquaient plus ayant perdu l’habitude si l’on puit dire d’entendre les sermons, tandis que d’autres s’en étaient remis à d’autres cultes domestiques ou agraires par exemple.
Bien que ne menant pas le train de vie des prélats et dignitaires de l’Eglise, le curé de campagne était à la base de la pratique religieuse des habitants de sa paroisse. Pendant longtemps, il fut l’un des seuls à savoir lire et écrire sur la commune : c’est d’ailleurs lui qui tient les registres paroissiaux si utiles aux généalogistes y trouvant les dates de naissance, baptême, mariage, décès et inhumation. Il devient un personnage de référence pour les villageois mais également auprès des érudits ou de l’évêché.
En effet, il est au courant des pratiques de vie de ses ouailles mais aussi, par définition, de ceux ne fréquentant pas l’église. En réponse à des enquêtes émanant de ses supérieurs ou par simple intérêt, il note, examine et parfois juge les comportements des habitants : ces documents d’archives sont une source considérable pour la connaissance d’une communauté villageoise à un moment donné, tout en prenant en compte la relative subjectivité pouvant transparaître… C’est ainsi qu’au début du siècle, répondant à des enquêtes émises par le diocèse, le curé de Sainte-Croix juge ses paroissiens sur leurs pratiques religieuses : « Sainte-Croix est bien en Bresse. Les gens sont apathiques, routiniers, superficiels, sans résistance ni consistance, aussi rien n’est solidifié dans cette paroisse qui marche encore en raison du mouvement acquis, mais qui se laisse aller insensiblement aux idées du rationalisme moderne. »
Pour rester sur cette commune, on sait cependant que la dévotion à Saint Antoine est grande, mais toujours d’après ce prêtre, elle serait intéressée en Bresse puisqu’il est le saint protecteur des cochons, animaux importants de la ferme. Pour terminer sur ces paroissiens encore une dernière remarque concernant la fête des rats que nous avons déjà évoqué ensemble il y a quelques mois : le 6 janvier, les Catholiques fêtent la manifestation de Jésus aux Mages, l’Epiphanie. C’est le jour des Rois mais pour les habitants de Sainte-Croix, il s’agit aussi de la fête des rats : « Si on oublie parait-il, de célébrer cette fête, les rats dévorent les harnais toute l’année. Dans le pays, on prononce « ra » au lieu de « roi », de là « les rats mages », « les rats mangent » - ô bêtise humaine ! » Ce brave curé avait l’air bien désemparé et consterné…

 

 

Le curé de campagne connaît tous ses paroissiens, du paysan au châtelain
(illustration extraite de Hier, nos villages, Aude de Tocqueville, page 88).