Traditions Bressanes : boucheries et boulangeries

Bouchers des villes, bouchers des champs1er mars 2008
Dans notre petit tour de bourg, intéressons-nous maintenant aux échoppes liées à l’alimentation en commençant par les boucheries.
Si l’ancienneté de la pratique bouchère n’est plus à démontrer (des règlements et autorisations nous font remonter aux premiers temps du Moyen-Âge), cette noble profession qu’est la boucherie ne tenait pas la place que nous lui connaissons aujourd’hui.
En effet, à la campagne, les occasions d’aller chez le boucher étaient rares puisque, avant d’acheter, on consommait les produits de la ferme et de l’élevage. Les rendez-vous avec le boucher étaient donc rares en général, tout au plus une fois par semaine, à l’occasion du jour de marché où on achetait extraordinairement quelques morceaux « de choix ». Sans compter que ce type de d’achat ne devait sans doute pas améliorer la santé du portefeuille d’un ménage composé de nombreuses bouches à nourrir. D’où l’importance que nous voyons ici de bien réussir, suite à l’abattage annuel du cochon, ses salaisons et autres préparations à faire durer une année.
En ville, cependant, les visites chez le boucher se font plus régulièrement étant donné l’absence de production domestique. Au 21ème siècle, avec toutes les mesures d’hygiène et de prévention pour la santé publique, on a bien du mal à imaginer que pour attirer le client, le boucher fasse étalage de sa marchandise… dehors. Et oui, dehors, dans la rue : le matin, en ouvrant ses portes, le boucher et son commis suspendaient à des crochets tout autour de la vitrine et de la porte d’entrée du magasin les meilleurs morceaux en vente, signe de qualité. Cette démonstration d’une viande et d’un travail de choix a toujours eu cours, et ce encore aujourd’hui par l’exposition des plaques honorifiques remises aux meilleures bêtes à viande ayant reçues des prix lors de concours. A cela s’ajoutait souvent la photo de l’animal en question et du boucher posant l’un à côté de l’autre.
L’affichage d’un tel mérite se retrouve dès le Moyen-Âge à travers les corporations. Au sein d’une même bourgade, chaque profession se regroupait en corporation afin d’avoir plus de poids, d’imposer leur voix, leurs désirs et besoins, le tout sous le patronage d’un saint protecteur. Pour les bouchers, il s’agit de Saint Barthélémy : fêté le 24 août, il est également patron des tanneurs et des relieurs. Une fois l’an, lors de la fête du saint, une procession défilait dans les rues avec la statue du saint auquel on rendait hommage par une messe avant de partager un copieux repas lors d’un banquet en présence de tous les représentants locaux de la profession. Chaque corporation avait également un blason, comme les familles nobles : à Louhans, il était « de sable à une rencontre de bœuf d’or » (c’est-à-dire représentant une tête de bovin en son centre) et à Cuisery « de gueule à un fusil de boucher d’or » (avec un fusil servant à aiguiser les couteaux).

 
Tels étaient les étals des boucheries parisiennes mais aussi de province autrefois…
(Illustration extraite d’Au Bon Vieux Temps, Claude Weill et François Vertin, page 59)

Entre tradition et modernité 8 mars 2008
Loin de ces considérations historiques, les boucheries se modernisent dans les années 1950’-1960’, comme le reste de la vie quotidienne, et ce, plus ou moins rapidement selon les lieux géographiques, le milieu social, les familles... Les pratiques évoluent et on va  de plus en plus chez le boucher, qui devient aussi charcutier, traiteur… Petite parenthèse pour dire que le nom de « charcutier » vient de « chair cuite » puisque si le boucher était celui qui abattait une bête pour en vendre la viande, le charcutier ne vendait que des morceaux bien particuliers.
La pratique de la charcuterie remonte à des temps forts anciens : ce sont les Romains qui mirent en pratique une certaine façon d'accommoder les viandes et, plus précisément, celle de porc, se prêtant bien au salage et au fumage. En France, la profession de charcutier a eu du mal à s'imposer : ce n'est qu'au 15ème siècle que les charcutiers obtinrent le droit d'être les seuls à vendre de la viande de porc crue, cuite ou apprêtée et durent attendre le 16ème siècle pour avoir l'autorisation de tuer eux-mêmes les porcs qu’ils achetaient jusqu'alors aux bouchers. C'est en 1475 à Paris, que la corporation des charcutiers (« chair cuitiers ») devint autonome et distincte de celle des bouchers qui conservaient le privilège de vendre des chairs fraîches : le terme de charcutier apparu donc à cette époque. Refermons la parenthèse.
Les échoppes du milieu du 20ème siècle évoluent donc : au départ, les banques réfrigérées n’existent pas et pour permettre à l’air de se renouveler les magasins étaient souvent fermés par des grilles et non par des portes closes. D’une main experte, à l’aide de longs couteaux bien affûtés, on découpait la viande sur le billot qui servait également de comptoir ; puis on la pesait sur une vieille balance romaine (parfois prolongée d’une tringle et d’un crochet pour les gros morceaux) qui sera bientôt remplacée par la fameuse balance à plateau unique et à cadran triangulaire à aiguille, objet indissociables des commerces d’alimentation dans les années 1950’. Trône également la nouveauté achetée récemment, la trancheuse à jambon ! Et puis on ne voit plus dès le matin la sciure répandue au sol afin d’éviter de glisser sur les carreaux rendus un peu gras par le sang coulant de certains morceaux…
Les  chambres froides apparaissent et les plats traditionnels bressans que l’on faisait chez soi (salade de museau, fromage de tête, boudin…) côtoient de nouvelles spécialités dont la mode va aller en s’accélérant (merguez, choucroute…). Mais de splendides saucissons et jambons pendus aux crochets de la boutique font toujours le régal des yeux avant d’être celui de l’estomac…

Intérieur d’une boucherie dans les années 1950’ : billot, couteaux, balance, sciure, premiers réfrigérateurs… tout est en place.
(Illustration extraite de Au Bon Vieux Temps, Claude Weill et François Vertin, page 54)

Le bon pain de chez nous15 mars 2008
Autre échoppe incontournable de nos bourgs : la boulangerie. Incontournable, elle ne l’a cependant as toujours été. Comme la boucherie, la boulangerie relevait jusqu’au début du 20ème siècle d’une pratique domestique puisque la fabrication et la cuisson du pain familial était aussi naturel que la récolte des œufs ou le tuage du cochon au sein de l’économie et de la vie de la maisonnée.
En effet, rien n’est plus important pour l’homme que le pain et son constituant le blé, et ce depuis l’Antiquité. Propriété de toutes les classes sociales, on l’associe cependant plus facilement à la paysannerie, aux populations des campagnes souvent réduites à la misère pour qui le pain était la base de la nourriture, aliment capable de bien tenir au ventre face aux travaux de tous les jours.
La cuisson du pain relevait d’un rite très important car on donnait au pain des valeurs symboliques fortes largement compréhensibles du fait de son rôle central dans l’alimentation : ainsi les femmes ne devaient pas pétrir la pâte en période d’impureté. Une fois confectionné et prêt à être consommé, le pain ne devait pas être posé à l’envers sur la table sous peine de faire pleurer la Sainte Vierge, ni entamer avant d’être signé. Ces pratiques sont aujourd’hui encore répandues chez certains : quand les coutumes et croyances rituels de nos ancêtres deviennent nos habitudes...  
Si chacun pouvait faire son pain dans son propre four en Bresse, il n’en était pas de même quelques siècles auparavant du fait de l’existence des « fours banaux » : les villageois se devaient d’aller faire cuire leur pain dans cette sorte de four communal appartenant au seigneur du lieu qui en retirait ainsi un impôt, comme l’explique Lucien Guillemaut : « Les Vilains (les hommes dépendant du seigneur) ne devaient porter leur blé pour le moudre qu’au moulin du seigneur, leur vendange qu’au pressoir du seigneur, c’était ce qu’on appelait les banalités ; et pour ce service ils devaient payer largement » (Histoire de la Bresse Louhannaise, Tome I, page 126).
Avant la cuisson, il faut déjà pétrir la pâte à la main dans le pétrin, appelé la « maie » chez nous, sorte de coffre sur pieds aujourd’hui largement visible dans tous les musées.

 L’image quasi sacrée du pain a souvent été immortalisée par les photographes dans les campagnes.
(illustration extraite de Les Fermes d’autrefois, Edouard Lynch, page 150)

De la cuisson domestique à l’achat chez le boulanger  22 mars 2008
Pour la cuisson, toute la maisonnée était sur le pied de guerre pour cet évènement, du grand-père pour sa connaissance des pratiques liées au chauffage du four, aux petits-enfants charmés par l’odeur dégagée de la cuisson à laquelle on ajoutait parfois les fours de fête (notamment pour la fête patronale) la cuisson de tartes ou brioches faites maison.
« Je me souviens de l’agitation qui régnait à la maison lorsque mes parents faisaient le pain, deux fois par mois. Le soir, après la soupe, mon père vidait dans la maie un sac de farine. Pendant une bonne heure, ma mère travaillait la pâte, la soulevant de ses bras nus et la jetant violemment. Toute la nuit, la pâte gonflait.
Mon père levé une heure plus tôt que d’habitude, chauffait le four avant d’aller à sa journée. Armé d’une vieille fourche en fer à long manche, il enfournait dans le brasier des fagots d’épines, les poussant aux quatre angles du four pour que la chaleur y fût bien égale. Pendant ce temps, ma mère répartissait la pâte par petits paquets dans des bourriches de paille, confectionnées durant l’hiver, qu’elle plaçait dans le lit encore chaud et recouvrait de couverture. Lorsque tous les fagots avaient brûlé, elle vérifiait que le four était bien chaud.
Avec une rabale, sorte de râteau fait d’un morceau de planche fixé au bout d’un long manche, elle commençait à ratisser les braises, les repoussant contre les parois. Ensuite, elle prenait les bourriches, les renversait d’un coup sec sur une grande pelle plate et saupoudrait la pâte d’une poignée de farine. Mon père, ruisselant de sueur, faisait glisser la pelle sur les briques brûlantes, la retirait d’un geste rapide jusqu’à ce que la dernière miche trouvât sa place face à l’entrée du four, que l’on fermait immédiatement d’une plaque de tôle. Mon père pouvait enfin partir aux champs. »
C’est ainsi que Henri Pitaud raconte ses souvenirs (Le Pain de la terre) que peut-être certains d’entre vous ont connu également avec plus ou moins de divergences. Pour les autres, l’odeur du pain cuit chatouille peut-être vos narines, une odeur de bon pain de campagne… si ce n’est que jusqu’à la fin du 19ème siècle, le pain du paysan n’était pas blanc, à base de froment, mais de son et de seigle donnant une teinte noirâtre à la mie.
D’autant que le pain était souvent consommé rassis, sec, du fait que les fournées avaient souvent lieu deux fois par mois, plus ou moins selon l’importance et l’aisance des familles : la douceur du pain sorti tout juste du four était réservé aux grands visiteurs ou à des circonstances exceptionnelles : visite des propriétaires aux fermiers, mariage…

 
Derrière son comptoir, la boulangère fait le lien entre le travail de son époux et le contentement des clients. (illustration Editions Atlas)

 

« Talemeliers » et saint honoré  29 mars 2008
Du fait de l’importance symbolique et réelle donnée au pain, le boulanger est lui aussi revêtu d’un prestige lié à son travail et son savoir-faire. Connus depuis l’Antiquité romaine, les boulangers deviennent de plus en plus nombreux dans nos bourgs ruraux au début du 20ème siècle lorsque cette pratique de la cuisson domestique du pain commence à s’estomper. Quelques décennies plus tard, même les hameaux isolés seront pourvus en pain blanc tous les jours grâce aux tournées du boulanger qui se mettent en place peu à peu.
Avant de s’appeler « boulangers », ces artisans sont dits « talemeliers » dans les archives, ou « talmeliers » ou encore « tallemandiers ». Ce nom viendrait du latin « talemetarius » qui signifierait « compter sur une taille » car de tous temps les boulangers avaient l’usage de marquer sur des tailles de bois la quantité de pain qu’ils fournissaient.
Produit pour lequel les clients sont très regardants et exigeants, la farine utilisée en 1900 n’est raffinée qu’à 65% donnant encore un pain à la mie bise malgré des tentatives de blanchiment chimique des farines et de maturation artificielle mais sans résultat définitif.
Si la consommation quotidienne du pain a été divisée par cinq en un siècle (de 900g par habitant en 1900 à 325g en 1950 pour tomber à 160g en 1995) la variété des sortes de pain a toujours existé selon les régions et les spécialités de l’artisan : baguette, pain fariné, boulot, pain à café, flûte à soupe, fendu, pain navette, saucisson, natté, polka, flûte crevée, benoiton, auvergnat, pain rond, galette, couronne…   
Concernant le saint patron des boulangers il s’agit de saint Honoré évêque d'Amiens qui naquit vers 660, également patron des meuniers et des marchands de farine. La légende rapporte que quand ce jeune homme dissipé annonça à sa nourrice qu'il voulait devenir prêtre, elle était en train de faire cuire son pain. « Et quand ma pelle aura des feuilles, tu seras évêque ! » se moqua la brave femme. Sous ses yeux ébahis, la pelle se mit à reverdir. En souvenir de ce miracle, en 1202, un boulanger parisien offrit neuf arpents de terre pour construire une chapelle à saint Honoré qui devint ainsi le saint patron des boulangers. Un gâteau, le saint-honoré, fut même créé par la maison Chiboust, au Palais-Royal, en honneur de ce saint patron : il se faisait alors en pâte à brioche ordinaire et était garni de crème fouettée.
Saint Honoré est fêté le 16 mai chez beaucoup de boulangers à travers toute la France. C'est la Fête du Pain, occasion de célébrer une fois l'an sur le lieu des moissons, au moulin et au fournil, le travail des céréaliers, des meuniers et des boulangers qui maintiennent la tradition du bon pain français.

 

Une bien belle devanture pour cette boulangerie faisant également pâtisseries et viennoiseries, le tout porté à domicile.
(illustration extraite d’Au bon Vieux Temps, Weille et Bertin, page 179)

Adeline Culas