Traditions bressanes

Le bruit du marteau sur l’enclume…2 août 2008
Après avoir fait le tour des échoppes consacrées au bien être de ces dames et au plaisir des enfants, nous allons maintenant aborder des sujets plus virils…
Nous promenant dans le bourg tôt le matin, un bruit sourd monte de derrière une ruelle… le forgeron est déjà à l’œuvre. De son atelier s’échappe la plainte du marteau battant le fer sur l’enclume. Et c’est qu’il a du travail le forgeron ! Il est aussi à ses heures taillandier, maréchal-ferrant et dépanne quelques agriculteurs venus réparer une pièce de la charrue… Personnage important de la vie villageoise, son travail est reconnu de tous. Entrons dans son atelier…
Il y fait sombre, les murs sont noircis de fumée. La source de lumière principale est celle apportée par le foyer central attisé par son grand soufflet. On y trouve évidemment l’enclume et une cuve pleine d’eau pour refroidir le fer incandescent. Aux murs, au-dessus de l’établi, sont suspendus divers outils et objets.
L’artisan est là, portant un grand tablier en cuir à poches qui autrefois revêtait un caractère symbolique. Lorsqu’un apprenti (appelé « brûle-fer ») devient forgeron, on lui remet son tablier au cabaret : l’envers est alors marqué de l’empreinte d’un verre de vin ou d’une pièce de monnaie et de la signature de ses camarades.
Quelles que soient les évolutions de la société, son savoir-faire est sollicité. Le perfectionnement de l’agriculture, le développement de la culture attelée et l’essor du cheval dans les transports font sa fortune en tant que maréchal-ferrant : il ferre les chevaux, les mules et les vaches, fabrique et répare les versoirs et les pièces en fer des charrues, des attelages, tout l’outillage nécessaire aux travaux des champs et les outils des artisans du village. Il lui arrive aussi de forger des objets de la vie domestique notamment ceux liés à l’âtre : crémaillères, landiers, trépieds, grils… Lorsque la mécanisation interviendra, il réparera les premiers tracteurs tout en continuant à ferrer les chevaux. 

 

De la forge s’élevaient autrefois des sons bien caractéristiques de nos campagnes
(illustrations extraites de
Vieux métiers de nos campagnes, A Contrario, 2006).


Chez le forgeron guérisseur…9 août 2008
Son atelier ne désemplit pas : tôt le matin jusque tard le soir, habitués ou gens de passage viennent lui demander une bricole. C’est aussi chez lui que les hommes du village se réunissent pour causer politique, agriculture…
Forgeron, taillandier, maréchal-ferrant, magicien du fer, il peut se faire aussi guérisseur, dentiste et vétérinaire : son marteau, comme celui du meunier, a le pouvoir de guérir. En Corrèze par exemple, il le brandit au-dessus d’un enfant étendu sur son enclume : ce simulacre était supposé guérir du « carreau », maladie d’origine tuberculeuse autrefois très répandue dans cette région.
Sous la protection de Saint Eloi (également patron de tous ceux travaillant le fer, des orfèvres et des artisans liées aux chevaux : bourreliers, charrons, muletiers, agriculteurs…), son importance au sein de la communauté se retrouve aujourd’hui à travers la diversité et l’étendue des patronymes qui en sont dérivés. Chez nous, il s’agit des Faivre, Favre, Faure mais ailleurs en France ils se déclinent en Lefe(b)re, Maréchal, Le Goff, Schmitt… en Smith en Grande-Bretagne, Ferrari en Italie, Herrero en Espagne…
A métier universel, reconnaissance universelle, d’ailleurs, le Vendredi Saint est le jour du maréchal-ferrant, la légende affirmant qu’aucun forgeron n’avait accepté de fabriquer les clous de la croix du Christ. C’est également le seul artisan auquel l’Eglise reconnaît le droit de travailler le dimanche.
Autre croyance liée au statut du forgeron, celle du fer à cheval portant bonheur. Placé à l’entrée des maisons, dans le lit conjugal ou sous les nids des poules, il est sensé guérir la stérilité, protéger de la foudre et des rages de dents. Mais attention ! pour être efficace, le fer porte-bonheur doit être trouvé au hasard des chemins et comporter huit trous et non six : dans ce cas, ce ne serait pas un fer à cheval mais un fer d’âne qui, selon les dires, ne peut porter chance. Vous êtes prévenus !... 

 



Cétautomatix est sans conteste le forgeron le plus connu de la bande dessinée…
 (illustration extraite de
Astérix et la rentrée gauloise, Goscinny et Uderzo, page 17)


Du berceau au cercueil   16 août 2008
Un autre bruit résonne dans le bourg ce matin : moins présent que le marteau sur l’enclume du forgeron mais tout aussi lancinant, c’est le menuisier devant son établi qui est en train de raboter.
De façon discrète, le menuisier est au quotidien et durant toute leur vie aux côtés des villageois : on dort petit dans le berceau qu’il a confectionné avec soin, on vit au milieu des tables, chaises et autres pièces de mobilier qu’il a créées… pour finir ensuite dans le cercueil qu’il a préparé…
L’atelier du menuisier sent bon le bois, la sciure et est le royaume d’une multitude d’outils ayant chacun leur utilisation spécifique : vilebrequins, vrilles, étaux, rabots à moulures ou simples, maillets en bois, bédanes, égoïnes, marteaux, hachettes, scies à main, équerres… et bien d’autres encore !…
Sous l’Ancien Régime, le menuisier est également paysan : l’été dans les champs, l’hiver travaillant le bois à l’aide de ses fils. Car autrefois, on était souvent menuisier de père en fils comme l’a expliqué dans son livre intitulé Mémoires d’un Compagnon Agricol Perdiguier.
Né en 1805, son avenir est déjà tout tracé car son père souhaite que l’un de ses fils reprenne son atelier de menuisier. Débutant dans l’environnement familial, il se lève tous les jours à 5h du matin pour travailler jusqu’à 8 ou 9h du soir. Le dimanche, il faut mettre de l’ordre autour de l’établi, ranger le bois, balayer la sciure : l’apprenti n’est guère libre avant 10h ou midi. En échange, il est nourri et logé mais ne reçoit pas de salaire.
Pour parfaire ses connaissances et sa qualification professionnelle, Agricol part accomplir son Tour de France : la tradition veut qu’un travail particulier appelé « chef-d’œuvre » soit effectué à son issue. Deux musées sont aujourd’hui consacrés au compagnonnage et à ces chefs-d’œuvre : l’un est à Tours et l’autre à Romanèche-Thorins.
Au départ, menuisier et ébéniste revêtent deux sens différents : l’ébéniste, au 17ème siècle, est l’artisan habile réalisant des meubles en ébène. Puis, il désigne plus généralement tous les artisans créant des meubles de grande qualité et ayant donné des preuves évidentes de leurs capacités. Enfin, contrairement au menuisier, l’ébéniste se laisse le droit de signer ses œuvres en apposant sous un fauteuil ou dans la partie cachée d’un meuble, son estampille personnelle réalisée grâce à un outil en fer portant en relief à son extrémité la marque de l’ébéniste ou ses initiales. Une amende était encourue par celui utilisant l’estampille d’un autre ébéniste ou si celui-ci le prêtait à quelqu’un. A partir de la Révolution Française, avec la suppression des corporations et des associations de métiers, toutes les règles disparurent : tout artisan du bois peut désormais signer ses travaux, tout comme les restaurateurs, tapissiers ou marchands de meubles.

Agricol Perdiguier a, dans son ouvrage Mémoires d’un Compagnon, décrit la vie d’un menuisier au 19ème siècle.


Au « Répare tout »…  23 août 2008
En face de chez le menuisier, un autre atelier s’anime : celui du garagiste. On le reconnaît aux plaques publicitaires couvrant la façade. Au départ, chez le garagiste, on y va pour des bricoles, pour acheter une bicyclette, pour faire réparer quelques pièces du tracteur puis, avec la généralisation de l’automobile, on s’est spécialisé dans l’entretien des véhicules automobiles. A la campagne, on emmène aussi bien  sa voiture que sa tondeuse ou sa débroussailleuse « au garage » comme on dit.
En passant devant l’atelier, une odeur de cambouis se mêle à celle de la poussière, de la peinture et de l’essence car se dresse fièrement sur le bord de la route une pompe à essence. Une de ces encore très rares pompes à essence, peut-être la seule du canton, à une époque où le cours du baril ne tourmentait ni les consommateurs ni leur porte-monnaie… Elle est là, fière, avec son cadran rond où s’affiche la quantité demandée et avec ses deux tubes de verre où le carburant était pompé pour que le conducteur puisse contrôler le volume distribué.
Avant l’apparition des pompes à essence et là où ces mini stations service n’existaient pas encore on s’approvisionnait chez les commerçants détaillant le carburant par bidons de cinq litres. Ils étaient contenus dans des caisses en bois peintes aux couleurs de la marque d’essence : Stelline, Automobiline, Moto Naphta… il existait alors un nombre considérable de marques. Le client coupait le petit fil du plombage qui fermait le bidon garantissant à  la fois la quantité et le carburant, et versait le contenu dans son réservoir avant de rendre le bidon au commerçant.
Au garage, on répare tout : le garagiste est polyvalent, à l’image de quelques personnages ayant marqué nos villages bressans, comme ce fut le cas de Monsieur Guillemin, plus connu sous le nom de « Bal’hous » à Sainte-Croix dont le garage portait l’enseigne « Clinique pour automobiles ».
On répare les automobiles sillonnant les campagnes de Bresse mais on répare aussi et on vend des machines agricoles. De la simple charrue au râteau faneur en passant par le tracteur, les marques de société se font elles aussi concurrences : Renault, Puzenat, Mac Cormick pour les plus connues, mais aussi Merlin et Cie, Louis Herliq, Dollé, Charlet ou encore Osborne se partagent le marché.
Parfois, le petit atelier se faisait entrepreneur de battages : se rendant dans les fermes au moment des moissons, l’entrepreneur arrivait dans le hameau avec sa locomobile et sa batteuse, moment convivial mais oh combien éprouvant pour les hommes et pour lequel nous avons déjà consacré plusieurs chroniques. Avec le temps et la mécanisation, les entrepreneurs – parfois des agriculteurs louant eux aussi leurs services auprès de collègues – fauchaient et engrangeaient la récolte à l’aide de faucheuses et autres moissonneuses-batteuses. Vu la dimension de ces engins, le garagiste bricoleur sera bien vite dépassé.   

 

 

La coopérative « La Laborieuse » vend des outils et accessoires de jardin et s’enorgueillit de posséder une pompe à essence (illustration extraite de Au bon vieux temps, Weill et Bertin, page 106).

Le bruit des meules et des rires  30 août 2008
Autre lieu, cette fois plus grand qu’un simple atelier, et pouvant se trouver également dans les hameaux ou en pleine campagne : le moulin.
« Meunier tu dors ? » demandait la comptine mais le meunier a « du grain moudre » et « du pain sur la planche » comme on dit. Ce n’est tout de même pas rien de transformer le blé en farine que le boulanger changera en pain, cet élément de base de l’alimentation et revêtu de significations quasi primordiales comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer.
Aujourd’hui parfois abandonnés ou restaurés en résidence, les moulins font partie de ce que l’on nomme globalement « le patrimoine » ou encore « le patrimoine de pays » terme nouveau auquel est associé depuis quelques années une « Journée du Patrimoine de Pays » qui a lieu le deuxième week-end de juin.
Mais autrefois, au moulin régnait une atmosphère de convivialité et de travail intense. Convivialité car on s’y rendait pour sa consommation personnelle, on allait chercher du grain pour les animaux de la ferme, et bien sûr on discutait entre hommes en se faisant parfois quelques blagues.
C’est ainsi, m’a-t-on raconté, que mon arrière-arrière-grand-père avait pour habitude de se rendre chaque matin au bourg de Sainte-Croix depuis le hameau de Châtenay, avec sa carriole et son vieux cheval pour faire quelques courses mais surtout pour aller au moulin se tenir au courant des nouvelles du village et causer avec les copains. Grand blagueur, en réponse à l’un de ses exploits, les manœuvres du moulin profitèrent du fait qu’il ait laissé ses sabots à l’extérieur du moulin pour les clouer au sol.
Le père Charles (c’était son prénom), quand il voulut repartir après avoir raconté quelques blagues de son cru, fut bien surpris de ne pouvoir faire un pas. Il avait trouvé plus fort que lui ! Mais ce ne fut pas une avance : le temps de déclouer ses sabots, il en profita pour traînasser un peu plus au moulin d’où résonnaient de grands éclats de rire…

 

 

Le moulin de Sainte-Croix a été le théâtre de la petite scénette racontée ci-contre…

(à suivre)

Adeline Culas