Traditions Bressanes
Commerces et Métiers d’autrefois… 26 janvier
Après
avoir évoqué à plusieurs reprises dans différents articles certains métiers
d’autrefois, essayons de nous rappeler les divers artisans et commerçants rythmant
nos bourgs il y a près de 70 ou 80 ans…
Si aujourd’hui, habitants, municipalités,
communautés de communes ou autres se débattent pour maintenir un bureau de poste
ou créer un point de vente multiservices, autrefois les boutiques et ateliers
d’artisans foisonnaient. Pour exemple, ces cafés ou bistros de pays, déjà évoqués
lorsque nous parlions des conscrits ou des fêtes patronales : dans la Grand-rue
de Sainte-Croix, on ne comptait pas moins de cinq auberges, sans parler de ceux
se trouvant dans les écarts (à la Gare, au Triangle…).
Dans cette même commune,
essayons d’énumérer, dans cet article et les suivants, les différentes échoppes
susceptibles de croiser les chemins du voyageur ou du Bressan.
Ces lieux,
où l’on allait avant tout pour se procurer quelconque marchandise, constituaient
également un endroit de sociabilité évidente. Pour les gens des hameaux, venir
au bourg consistait en une visite hebdomadaire (parfois plus, parfois moins
selon les familles et la distance à parcourir) au cours de laquelle on se tenait
au courant des dernières nouvelles.
Cependant, une distinction, voire un
différend, existait entre « gens du bourg » et « gens des écarts » et se faisait
sentir avant tout entre enfants à l’école mais quelquefois aussi à l’âge adulte
puisque bien souvent les hameaux étaient peuplés par les paysans et les bourgs
par les commerçants. Dans certaines communes, une différence quant aux modes
de pensée apparaissait également : certains allant fidèlement à l’église et
d’autres moins, certains dits « blancs » et d’autres « rosés » voire « rouges
»…
Mais malgré ces divergences, il était bien rare qu’elles gâchent à ce
point la vie villageoise, au mieux elle faisait rire ou sourire et les uns comme
les autres avaient toujours besoin de l’entraide de chacun pour vivre.
Les bourgs de Bresse, comme celui de Sainte-Croix, regorgeaient
de petits commerces
et autres ateliers d’artisans (collection privée).
Entre cafés, auberges, pensions… de quoi manger et boire 2
février
S’il est une catégorie de commerces qui a marqué les esprits
autant qu’il animait les villages, il s’agit bien des lieux de restauration.
On pouvait y boire un verre, manger mais aussi dormir selon que l’on se trouve
dans un café, un restaurant, une pension… Mais bien souvent, à ces appellations
s’ajoutaient celle d’épicerie, de boulangerie… car au sein d’un même bâtiment
et d’un même ménage se côtoyaient diverses occupations tel que le mari sabotier
et l’épouse épicière par exemple.
Cependant, pour les habitués ou pour les
gens de passage, nul occasion de se tromper grâce aux grosses enseignes placardées
au-dessus de la porte d’entrée ou directement peintes sur le mur. « Hôtel du
Solnan », « Café de la gare », « Bar des Amis », autant de noms qui résonnent
encore aux oreilles de ceux les ayant connus…
Les cafés, bistrots ou autres
lieux de ravitaillement pour estomacs creux ou bouches asséchées constituaient
l’endroit de toutes les rencontres pour les gens du village ou les voyageurs
qui y trouvaient omelette, tartes et parfois un lit pour passe la nuit. On y
racontait les potins du coin, les dernières nouvelles, on parlait politique,
économie, à l’échelle locale ou plus élargie… Le boit-sans-soif côtoyait les
joueurs de cartes, les femmes venues boire une limonade après avoir effectué
leurs courses au marché, le gamin venu s’acheter un caramel à dix centimes…
le tout dans une atmosphère convivial que l’on tente de valoriser aujourd’hui
en conservant ces « bistrots de pays » tout en y interdisant ce qui faisait
leur charme…
Le décor était bien souvent sobre dans les petits villages ruraux
: une plus ou moins grande salle parsemée de tables en bois auxquelles venaient
s’adjoindre quelques chaises paillées et un comptoir derrière lequel se tenait
le patron. Aux murs, sans doute quelques bouteilles et affiches publicitaires
alors que les consommateurs commandent blanc limé et autres verres de rouge…
C’est ainsi qu’apparaît dans l’imaginaire collectif l’intérieur d’un bistrot d’autrefois (photographie extraite de l’ouvrage « Au bon vieux temps » de Claude Weill et François Bertin).
La « fée verte » et ses conséquences 9 février
Si l’on évoque
avec plaisir, parfois même avec nostalgie, l’omniprésence des bistrots dans
nos vieux bourgs ou nos villes, il faut tout de même se dire qu’ils avaient
déjà réduits considérablement au tout début du siècle. En effet, on estime à
dix par jour le nombre de cafés disparaissant sur le territoire français
après l’interdiction, le 16 mars 1915, de la consommation d’absinthe, la « fée
verte » comme on l’appelait alors.
Immortalisée par Emile Zola dans son roman
L’Assommoir, l’absinthe est une liqueur alcoolisée de couleur verte réalisée
à partir de plantes amères et aromatiques dont une consommation accrue provoque
d’importants dégâts sur l’équilibre nerveux. Ouvriers y noyant le quotidien
ou artistes y trouvant l’inspiration créatrice étaient alors les plus touchés.
De nos jours, alors qu’une version « allégée » a été mise sur le marché, le
souvenir de la fée verte transparaît à travers les cuillères à absinthe conservées
précieusement d’une grand-mère ou chinées chez le brocanteur. Cette cuillère
oblongue percée de trous, souvent en argent, une fois posée sur le verre dans
lequel était la liqueur, recevait un morceau de sucre : on versait lentement
dessus un peu d’eau qui s’écoulait alors par les trous de cette dernière, faisant
ainsi fondre le sucre et allongeant la liqueur.
« Byrrh », « Cinzano »,
« Picon » autant de marques qui habillaient les murs des petits cafés comme
des grandes brasseries grâce à leurs publicités, affiches, objets dérivés tels
que les tapis de jeux de cartes. Que l’on vienne y boire un coup ou taper la
causette, les cafés étaient un lieu convivial dans lequel on pouvait ne pas
être vu. En effet, de nombreuses vitrines de cafés comportaient un décor gravé
dans leur partie inférieure si bien que depuis la rue on ne puisse reconnaître
les personnes attablées… jusqu’en 1939 où la réglementation imposera que les
forces de l’ordre puissent d’un seul regard contrôler l’identité des consommateurs…
Adieu les belles gravures ? Nullement. Les tenanciers inversèrent tout simplement
le sens de ces vitres : les mettant la tête en bas, les gravures se retrouvèrent
dans la partie supérieure et ne gênèrent nullement le travail des forces de
l’ordre…
La consommation de la fée verte a été immortalisée par Edgard Degas en 1876 dans ce tableau intitulé « L’Absinthe » (huile sur toile 92 x 68 cm, Musée du Louvre).
Des buvetiers aux bistrots 16 février
S’est-on
déjà demandé quel était l’origine du mot bistrot ou même de leur création ?
Au
départ, on les appelait les « buvetiers » et on y servait de l’eau-de-vie recommandée
par les médecins pour soigner les vers, la gale ou encore la peste… Mais
c’est en 1688 qu’apparaît le premier « café » tel qu’on le conçoit aujourd’hui,
où on y buvait du thé, du chocolat et du café : ce lieu était tenu par Francesco
Procopio et lui laissa son nom, le « Procope », au 13 Rue de l’Ancienne-Comédie
à Paris, aujourd’hui restaurant.
Après cet essai, de nombreux Auvergnats
ou Aveyronnais ouvrirent des brasseries à la capitale, commençant leur carrière
comme porteurs d’eau ou « livreurs de bain à domicile » à une époque où les
bourgeois du 17ème siècle n’avaient pas de baignoire. Ils se faisaient donc
monter de lourdes baignoire-sabots en bois, puis des seaux d’eau chaude par
ces petites mains qui attendaient que le bain soit pris pour redescendre le
tout. Par la suite, ils se transformèrent en fameux « bougnats » livrant bois
et charbon depuis leur dépôt qu’ils prolongeaient souvent d’un « café ». L’apparition
du chauffage central mit un terme à l’activité des bougnats mais non à celle
des cafés et bistrots, appellation qui viendrait du mot russe « bistro » signifiant
« vite ». Bien que cette explication soit assez obscure, elle demeure dans les
esprits disant que pendant l'occupation russe de Paris (1814 - 1818), les soldats
russes n'ayant pas le droit de boire et craignant l'arrivée d'un gradé criaient
« bistro, bistro », « vite, vite » pour ne pas être surpris.
L'origine du
mot bistrot est en effet incertaine et discutée. Il pourrait s'agir d'un régionalisme
importé à Paris au19ème siècle d'où il s'est diffusé à travers la France : du
poitevin « bistraud » ou du « bistroquet » du sud de la France signifiant
au départ un domestique, puis le domestique du marchand de vins, puis le marchand
de vin lui-même. Ce qui tend à renforcer cette hypothèse est que le mot « bistrot
» désignait aussi bien le tenancier d'un bistrot que l’établissement où l'on
sert du vin. Certains l'ont rapproché du mot « bistrouille », mélange de café
et d'alcool dans le nord qui aurait donné son nom à l'établissement où on le
servait. D'autres pensent qu'il dérive du mot argotique « bistingo » « cabaret
». Encore un mystère à jamais élucidé…
Si le terme « bistrot » signifierait « vite » en russe,
nul besoin de jeter son verre derrière soi une fois bu comme à la mode scandinave
!
(illustration extraite de Visages de France. Vie quotidienne et coutume
d’autrefois, collection Roger-Viollet, page 111).
Figures et symboles des cafés et bistrots : du percolateur au Scopitone…
23 février
A chaque époque et selon les lieux, des
objets ont marqué l’intérieur de ces bistrots et les habitudes des clients.
Le percolateur par exemple, qui admettait qu’il fût omniprésent dans tous ces
établissements appelés « cafés » où l’on consommait bien évidemment… du café,
le fameux « petit noir » souvent arrosé de « calva » ! En réalité, seuls les
lieux modernes possédaient ces machines luxueuses où la vapeur passait en pression
au travers du café moulu. Mais pour beaucoup, on consommait du « café au bâton
» : le café moulu étant déposé directement dans la cuve et recouvert d’eau chaude,
on remuait le tout à l’aide d’un bâton avant de laisser reposer.
Autre figure
indispensable des cafés parisiens Belle-Epoque, le garçon de café : son pantalon
noir à pinces, son nœud-papillon, son plateau à la main et son torchon blanc
soigneusement posé sur l’avant-bras. Autres « attractions », autres lieux, autre
époque, le baby-foot, qui remplace peu à peu le billard, plus encombrant mais
aussi moins spectaculaire.
Enfin, si l’on fait un bond en avant, dans les
années 1960’, les bistrots et cafés sont indissociables des juke-boxes. Son
ancêtre apparaît à la fin du 19ème siècle des mains d’un Allemand, Rudolph Wurlitzer,
fabriquant de pianos puis de pianos mécaniques comme le Ténophon (1896) fonctionnant
en y introduisant une pièce qui rencontrera le succès dans les bastringues et
salles de cinéma muet. Mais c’est en 1933 que la fille de l’inventeur achète
la licence d’un nouvel appareil : le juke-box. Faisant son entrée dans les cafés,
il devient un moyen privilégié de diffusion de la musique : rock, pop puis musique
yéyé s’introduisent alors dans les chaumières bressanes. Il tentera même de
suivre son temps avec le fameux Scopitone, un juke-box surmonté d’un écran de
projection qui proposait les ancêtres du vidéo-clip.
Le juke-box – avant
qu’il ne soit détrôné par l’arrivée de la télévision - devient alors le point
de rendez-vous des jeunes gens du village, dans les bistrots, là où leurs parents
se retrouvaient pour « taper le carton », « boire une petite » ou tout simplement
se retrouver ensemble…
Le juke-box est devenu un élément central des cafés des années 60’ (illustration Editions Atlas).
Adeline Culas