Le mobilier bressan : un mobilier à deux tons reflet du terroir

Tout comme l’habitat bressan reflète les particularités de la Bresse (omniprésence des forêts pour la construction de l’ossature en bois, et de l’argile ainsi que de l’eau pour la confection des torchis, briques, tuiles ou carrons), le mobilier bressan illustre les particularités et la nature du paysage de la Bresse.
Le mobilier bressan en tant que tel apparait au dernier tiers du 17ème siècle mais se généralise au 18ème lorsque les coffres à habits trapus et rustiques sont remplacés peu à peu par les armoires. La création de mobilier est une nécessité en Bresse puisque la structure en pan de bois des maisons ne permet pas la réalisation de rangements muraux. Une fois cette réalité donnée, le Bressan s’est adapté aux essences de bois présentent sur son territoire, cette terre argileuse et humide largement recouverte par la forêt. Très morcelée elle ne comporte que des essences utiles à l’homme comme le chêne pour la confection des meubles, le bouleau pour les sabots, les fruitiers également pour les meubles mais aussi pour la consommation en fruits. Enfin, le type de boisement en Bresse est le taillis sous futaie : un taillis producteur de bois de chauffage sous une futaie protectrice de bois d’œuvre.
Devant l’abondance de la forêt mais aussi du bocage bressan et à la diversité de leurs essences, le Bressan a donc utilisé deux types de bois différents donnant au mobilier bressan le nom de « mobilier à deux tons ». L’ossature est en bois solide et foncé comme le chêne, la façade est constituée d’une essence lumineuse (poirier, cerisier ou noyer) et les panneaux sont en loupe d’orme ou de frêne.  La loupe est une maladie de l’arbre empêchant la pousse des branches et créant des nodosités. Les hommes ont également « créés » de la loupe en taillant les arbres, notamment ceux constituant les haies que l’on devait couper par coutume tous les cinq ou sept ans. La loupe n’est pas utilisée en parement mais bien en épaisseur, comme constituant à part entière de la structure du meuble.

Le mobilier bressan, savoir-faire de renom, est présenté sur le territoire notamment au gré des salles d’expositions de l’Ecomusée de la Bresse bourguignonne.

De la table à yettes au vaisselier-horloge
En général, le mobilier bressan est de style rustique et Louis XV c’est-à-dire à pieds galbés et surtout associant plusieurs essences, comme nous l’avons déjà vu. S’il est très présent chez les Bressans, le mobilier de ferme n’est pas le même que celui que l’on trouvait dans les maisons bourgeoises. Ainsi, les meubles de ferme étaient assez petits du fait de la petite taille des fermes bressanes, très basses de plafond. 
Faisons ensemble un petit point sur le mobilier type d’une ferme bressane en commençant avec l’élément le plus important, la table. Toute la famille vivait dans une grande pièce chauffée par la cheminée, l’hutau, au centre duquel était la table à « yettes » ou à tirettes, ces tiroirs coulissants servant de rangement, de garde-manger, séparés par un petit tiroir central et présents uniquement sur un côté. L’assise se faisait sur des bancs car permettant d’accueillir beaucoup de monde autour de la table : le maître de maison au centre (face au petit tiroir), le grand valet à côté, puis les fils et domestiques, les femmes restant debout pendant le repas des messieurs.
La table était placée sous la poutre maîtresse de la maison, parallèlement, poutre qui soutenait une échelle à pain ou dans laquelle étaient pratiqués des trous pour placer la cuillère de chacun que l’on prenait installé sur le banc. Au bout, pouvait être adjoint un panetier (l’ancêtre de notre huche à pain), coffre en bois dans lequel on plaçait le pain et muni d’un système de récupération des miettes. Plus généralement, on conservait le pain là où on l’avait confectionnait, à savoir dans la maie, ou pétrin, sorte de coffre trapézoïdal sur pieds.
Si l’on mangeait dans cet hutau, on y dormait aussi, dans des lits de coin fermés où dormaient les parents et dans un autre les enfants, la plupart du temps ensemble, têtes bêches. Les nouveau-nés étaient placés dans une bercelonnette, berceau haut et étroit placé près du lit des parents pour le bercer directement couchés, à la main ou au pied.

Le Musée du Terroir de Romenay présente un hutau et les meubles le constituant :
avant tout la table à tirettes et le lit fermé.


Vers un mobilier raffiné
Si la table ou le lit restent généralement d’aspect assez rustique et sobre, d’autres meubles sont eux réalisés plus finement, de manière plus recherchée comme c’est le cas du vaisselier faisant peu à peu son introduction au sein des fermes bressanes. Ce meuble est plus ostentatoire que les précédents puisqu’on le plaçait le plus souvent face à la porte d’entrée de la ferme pour montrer sa richesse en plaçant la belle vaisselle dans la partie supérieure ouverte, la vaisselle ordinaire étant rangée dans la partie inférieure, fermée.
L’horloge apparaît peu de temps après le vaisselier, à la fin du 18ème siècle. Moins connue que sa consœur comtoise, l’horloge  bressane est plus ventrue, plus élégante dira-t-on par orgueil et possède comme le vaisselier un décor de loupe en façade. 
Plus tard, ces deux types de meubles vont se jumeler pour donner naissance au vaisselier-horloge, vaisselier comportant en son centre une horloge : la production de ce type de meuble a duré de la fin du 19ème siècle à la première guerre mondiale, mais certains ont été créés de toute pièce en associant des éléments d’époques différentes comme un vaisselier 19ème et une horloge 18ème. Présent dans les milieux bourgeois, le vaisselier-horloge avait également pour pendant dans ces mêmes situations la crédence-horloge, meuble associant de même façon une crédence ou un buffet à une horloge.
Mais s’il est un meuble qui vient souvent à l’esprit lorsque l’on évoque le mobilier bressan, c’est bien l’armoire. Apparue pour remplacer les coffres à habits, l’armoire, premier meuble bressan en tant que tel, marque par son apparition un meilleur niveau de vie en Bresse au cours du 18ème siècle et sera porteuse de la qualité d’imagination et d’exécution de l’artisan bressan.
Généralement, l’armoire était offerte à l’occasion des noces d’une jeune fille de la maison : elle contenait sa dot et participait même au cortège nuptial le jour des noces placée sur un char, donnant lieu à un véritable cérémoniel. 

Le vaisselier et l’horloge apportent élégance et raffinement au mobilier bressan mais gardent cependant sa spécificité, l’emploi de deux tons de bois.


Un décor porteur de sens
Si l’armoire de mariage avait un statut particulier du fait de son mode d’acquisition et de l’entrée symbolique qu’elle faisait au sein du foyer, elle ne subissait pas de traitement de faveur quant à sa constitution, toujours à deux tons. En général, elle comportait dans sa partie inférieure un grand tiroir appelé « pantalonnière » ainsi que trois petits tiroirs placés sous le rayonnage central de l’armoire : on disait que celui du milieu, plus étroit que ses deux voisins, avait juste la taille pour accueillir un lingot ! Je doute fort que les armoires bressanes aient vu beaucoup de lingots d’or dans leur vie mais toujours est-il que le Bressan avait l’habitude de cacher ses économies et ses objets de valeurs dans ce petit tiroir ou dans la caisse de l’horloge.
L’armoire, mais aussi le vaisselier et l’horloge, en plus de leur décor naturel constitué des dessins chamarrés et ondoyants de la loupe, supportaient des décors sculptés, témoins de l’imagination et du talent des artisans bressans. Le plus souvent, le décor est figuratif et se rapporte au monde végétal : feuilles d’eau, épis de blé liés en gerbe, marguerites, glands… Plus stylisés sont le motif en fer à cheval ou en tête de chouette, variante de la coquille.
Les armoires de mariage ou de fiançailles possédaient un décor particulier, symbole de la nuptialité, à savoir des cœurs ou des corbeilles desquelles dépassent des bouquets végétaux et des fleurs, sculptés sur le fronton ou sur la traverse du meuble. Parfois, des dates, des initiales ou même des patronymes sont gravés dans des cartouches placés sur le trumeau et rappelle que telle armoire a été confectionnée telle année pour le mariage d’unetelle.
Bien que d’apparence rustique, le mobilier bressan, par le savoir-faire et la créativité des différents artisans, reste pour tous les connaisseurs une réalisation de qualité adapté aux usages domestiques et familiers, à la spécificité des fermes bressanes et plus en amont, illustration de la diversité et des caractéristiques du milieu naturel bressan. Mais malgré son charme et ses qualités, le meuble bressan a souffert dans les années 1950-1960 de l’arrivée de nouveaux matériaux et d’un nouveau mode de vie : les fermes bressanes ont été délaissées pour de petits pavillons neufs et la belle armoire de famille a fait place à un buffet en formica et a été reléguée à l’écurie pour y entasser pots de peintures et outils.

 

Les corbeilles pouvaient symboliser le mariage comme sur cette armoire,
spécimen représentatif du soin apporté aux décors.


Les chaisiers et pailleuses de Bresse
Impossible de terminer ce petit tour d’horizon des caractéristiques du mobilier bressan sans évoquer l’art et le savoir-faire des chaisiers et pailleuses de Rancy et Bantanges. Si les origines d’une telle production locale restent encore controversées (mariage d’un compagnon tourneur avec une fille du pays et qui aurait formé des apprentis ou chaisiers ambulants italiens qui auraient transmis leur savoir), la première mention de l’existence de chaisiers en Bresse apparaît au 19ème siècle dans les registres de mariage de Bantanges et Rancy, respectivement en 1815 et 1824, où l’ont trouve le nom de deux tourneurs c’est-à-dire des chaisiers.
Cette activité est alors bien implantée entre Tournus et Louhans et perdurera jusqu’à aujourd’hui dans les communes de Bantanges et surtout Rancy, promu village de la chaise, où est implantée une antenne de l’Ecomusée  de la Bresse bourguignonne consacrée aux chaisiers et pailleuses et où quelques maisons sont encore le reflet et la vitrine d’un savoir technique vieux de deux siècles.
Si cette production s’est si bien implantée en Bresse ce n’est pas un hasard mais encore une fois du fait du sol et de la végétation : omniprésence de bois pour la fabrication de l’ossature de la chaise et de laiche et du seigle pour la confection des paillages. La laiche, appelée également « saigne », pousse à l’état naturel dans les prairies humides, en bords de Seille et des étangs donc parfaitement adaptée au sol Bressan bien que les drainages actuels rendent aujourd’hui difficile sa pousse. La paille de seigle, plus raffinée, était enroulée autour des brins de laiche, technique que connaissaient à la perfection les pailleuses bressanes.
Autrefois activité d’appoint, la fabrication de chaises s’est rationalisée par la suite, donnant naissance à des entreprises familiales exportant leur production au niveau national. Alors que l’homme est à l’atelier, confectionnant l’ossature en bois, la femme paille ou rempaille chez elle les assises à l’aide de bourroirs, ciseaux, rangeoirs…
Autrefois associé à une image négative, le métier de chaisiers et pailleuses l’est maintenant à un travail de qualité et de savoir-faire inégalé. Même si les machines ont remplacé les vilebrequins et consciences, la connaissance de ces professionnels est toujours là, encore visible à travers des entreprises familiales souvent regroupées en association pour faire face à la présence d’autres marchés internationaux.
Bien que réduite de nos jours, la fabrication de mobilier bressan existe encore cependant à travers le savoir-faire et l’amour du métier de certains artisans, artistes.

La chaise a été l’un des sujets de prédilection du peintre Vincent Van Gogh
(« La chaise de Van Gogh »).

 

Adeline Culas