De la roulière au t-shirt  28 juillet 2007

À l’heure où en cette fin de mois de juillet qui fut quelque peu frisquet nous reléguons au fond des placards les tenues estivales au profit des pantalons et manches longues, regardons en arrière comment se vêtaient nos aïeux bressans au début du siècle.
Alors que la vie des Bressans était basée sur l’économie familiale et une autoconsommation de la production agricole de la maisonnée, l’habillement était une source de dépenses non négligeables pour les familles. Bien que l’on puisse toujours rapiécer les vieux fonds de pantalons que l’on mettait au quotidien, les vêtements de fête ou passés pour les grandes occasions se devaient d’être élégants.
Au quotidien, pour travailler, aller en champs ou effectuer les travaux ménagers, hommes et femmes étaient vêtus simplement. Les hommes portaient un pantalon de grosse toile appelée « bourra », une chemise de chanvre, un gilet, un tricot ou un veston selon les saisons ainsi que la « roulière », blouse de coton bleu.
Jusque dans les années 1920, le chanvre était très cultivé par les Bressans : cette plante, aujourd’hui notamment utilisée comme isolant dans le bâtiment, servait notamment à la confection de cordes mais aussi de toile et donc de vêtements. Plante très cultivée autrefois en Bresse, le chanvre était arraché fin août afin d’être mis à "rouir", c’est-à-dire mis dans un lieu humide, juste assez pour que les fibres se détachent légèrement : il fallait cependant faire attention à ne pas le laisser pourrir. Après séchage, on le "teillait", on séparait les tiges de leur écorce : ce travail autrefois manuel était fait à la main par les hommes notamment pendant les veillées.
Ensuite, on écrasait la fibre pour l’adoucir et pouvoir la peigner : ce travail était réalisé par des spécialistes, des hommes venus d’autres contrées comme le Bugey et passant de hameaux en hameaux au mois d’octobre. Munis de gros peignes, ils étaient logés et nourris par les habitants. Après leur départ, les Bressanes n’avaient plus qu’à filer la filasse de chanvre plus ou moins grossièrement selon qu’elle serve à faire des sacs à farine et à grains ou les pantalons des hommes ou des draps.  


Filer le chanvre était le travail des femmes : dans de nombreuses fêtes à l’ancienne comme ici à Ste-Croix dans les années 80, la fileuse reste une figure incontournable.

 

Se vêtir pour travailler, pour les petites sorties, pour les enfants  4 août 2007
Les femmes quant à elles, lorsqu’elles travaillaient, portaient robes et jupes longues et amples noires ou grises, un caraco ou chemise de même couleur, un tablier très enveloppant dont la bavette était retenue par des épingles et un petit fichu sur les épaules. À cette époque, on ne sortait jamais tête nue : les femmes arboraient une petite coiffe blanche (plus tard remplacée par un simple fichu carré noué sous le menton) et les hommes un bonnet de couleurs différentes selon l’âge. Celui des vieux était blanc, noir pour les hommes "faits" et rayé bleu et marron pour les jeunes : cette distinction, également visible chez les femmes (nous y reviendrons par la suite) se retrouve encore aujourd’hui dans la tradition des conscrits puisque chaque classe arbore une couleur de chapeau différente selon l’âge représenté.
Concernant les enfants, ils passaient les premiers mois de leur vie emmaillotés dans des linges extrêmement serrés ce qui laisse supposer de nombreux problèmes d’hygiène mais aussi de malformations au  niveau des jambes. Une fois "démaillotés", jusqu’à deux enfants, filles et garçons portaient indistinctement des robes, beaucoup plus pratiques pour effectuer simplement les besoins naturels. Par la suite, les filles gardaient leurs robes de couleurs agrémentées de vestes et caracos alors que les garçons enfilaient une culotte courte, une chemise à manches longues, un tricot et une veste. Il va sans dire que les vêtements des enfants, en plus d’être rapiécés, se transmettaient d’aînés à cadets.
Pour  ce que nous qualifierons de petites sorties qu’étaient par exemple les jours de marché, les hommes portaient un complet de velours à grosses côtes et jusqu’à la guerre de 14, la fameuse roulière. Les femmes étaient vêtues de même que pour travailler mais avec des mises plus élégantes, ou tout du moins, moins usées : la différence notable dans l’habillement entre jours de travail et jours de sorties consistait avant tout en le port de la coiffe et celui des sabots.


Ainsi était vêtue la Bressane lorsqu’elle se rendait au marché et ainsi a-t-elle été immortalisée par les cartes postales folkloriste du début du siècle.

 

En passant par la Bresse avec mes sabots   11 août 2007
Aux pieds, les Bressans qu’ils soient hommes, femmes ou enfants portaient chaussettes et bas de laine ainsi que des sabots. Le sabot était la chaussure la mieux adaptée aux sols humides et argileux de la Bresse mais c’est avec l’arrivée des premiers tracteurs qu’il disparut : en effet, il n’était pas aisé de monter sur la machine chaussé de la sorte.
En plus d’être très pratique sur la terre meuble et de protéger du froid et de tous les temps, le sabot avait l’avantage d’être bon marché et se trouvait dans toutes les localités puisque chaque commune, voire gros hameaux, possédait un ou plusieurs sabotiers. Certains se sont faits une très bonne réputation et ont encore exercé dans la deuxième moitié du 20ème siècle à l’image de l’atelier des Bernardot à Sainte-Croix.
Les caractéristiques du sabot bressan proviennent des essences légères de bois utilisées comme le saule, l’aulne, le peuplier et plus souvent, le bouleau. Autrefois, le sabotier travaillait à façon, chaque client lui amenant son bois, dans lequel l’artisan sciait un morceau de la longueur du sabot. Ensuite, avec hache, herminette et paroir, le sabot prenait sa forme ; puis on le creusait  à l’aide de cuillères, de la raisane et du butoir. Après ces différentes étapes, le sabot était mis à sécher pendant plusieurs mois avant d’être fignolé au paroir et racloir.
En plus d’être utilitaire, le sabot est devenu un élément incontournable du costume bressan. Les hommes, portaient un sabot entièrement couvert et en bois auquel on pouvait ajouter des guêtres ou des tiges de cuir afin de travailler dans les lieux humides, notamment pour le curage des fossés : c’était des "bottes à sabots" ou "sabots-bottes". Pour plus de confort, un petit coussin en cuir pouvait être fixé sur des sabots plus dégagés sur le coup de pied.
Plus fantaisistes et plus élégants, les femmes pouvaient porter des sabots à brides, dégagés sur le dessus du pied et retenu par une bride de cuir décorée, mais aussi des sabots vernis ou sculptés. Le client pouvait faire son choix grâce au "catalogue" dont se servaient certains sabotiers consistant en une planchette de bois sur laquelle étaient présentés tous les décors sculptés proposés par l’artisan : l’un d’entre eux est notamment exposé à l’Ecomusée de la Bresse bourguignonne.


Le sabotier était un artisan très commun dans nos villages de Bresse et son savoir-faire reconnu.

 

Le costume de fête   18 août 2007
Pour les grandes sorties et cérémonies tels que mariages, baptêmes ou communions, hommes et femmes revêtaient leurs plus beaux costumes que l’on a assimilés au costume traditionnel bressan. L’achat de ces vêtements engendrait une lourde dépense, ainsi on les gardait le plus longtemps possible et la plupart du temps le Bressan et la Bressane n’avaient qu’un seul vêtement de ce type durant sa vie : on pouvait se le transmettre de génération en génération ou bien être inhumé avec.
Les hommes portaient pour ces occasions un complet noir uni ou rayé composé de veste, gilet, pantalon, chemise et cravate et étaient chaussés pour les plus riches de souliers montants ou à guêtres. Les femmes quant à elles portaient des ensembles raffinés, la coiffe, des sabots à brides et sculptés ou des souliers.
Nous avons l’habitude de rencontrer aux détours des musées et des représentations un costume bressan très sobre, constitué d’une grande robe noire et de la grande coiffe noire à cheminée. En réalité, il semblerait que le costume de fête des femmes bressanes était autrefois plus coloré : elles portaient une jupe large, un chemisier et par-dessus un tablier enveloppant mais avec beaucoup plus de façon que ceux portés pour le travail quotidien. Ainsi, le tablier ou "devanti" comme élément utile au quotidien devient un élément décoratif du costume de fête. Le décolleté était quant à lui toujours couvert soit par les pans du fichu revenant sur les épaules, soit par la "gorgerette", plastron placé sous le décolleté de la robe et porté par les Mâconnaises et Bressanes du Val de Saône, constitué d’une toile de chanvre, sur laquelle était cousue une pièce d’étoffe richement décorée de broderies.
Ce costume peut être qualifié d’ancien puisqu’au début du siècle il fut remplacé par un port plus moderne constitué d’une chemise ou d’un caraco de couleur blanche ou noire et d’une longue jupe noire ; des boléros et vestes brodées pouvaient parfois s’ajouter à cette parure. Si la couleur noire était très présente dans l’habillement du début du siècle c’est qu’entre un taux de mortalité élevé et la fréquence des guerres, les deuils qui duraient deux ans se succédaient bien souvent.

 
Cette carte postale du début du siècle représente les deux costumes dits traditionnels de la Bressane : ancien et moderne.

 

Petites et grandes coiffes : de l’utile à la parade  25 août 2007
S’il est un élément du costume "traditionnel" bressan qui ait survécut et ait été portée le plus longtemps c’est bien la coiffe. Comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, les femmes ne sortaient jamais tête nue ainsi, que l’on aille aux champs ou au marché, la coiffe était de rigueur. Cependant, il existait deux types de coiffes : la petite coiffe blanche portée quotidiennement, retenant principalement les cheveux, et la grande coiffe d’apparat, visible dans tous les musées consacrés à la culture bressane et fièrement arborée par les groupes folkloriques ou traditionnalistes. Cette dernière se compose d’un plateau de feutre noir surmonté d’une carcasse en laiton recouverte de dentelles également noires.
Il semblerait que la grande coiffe soit apparue au 16ème siècle comme la plupart des costumes régionaux : une gravure de 1530 appelée "Rustica Bressana" représente une femme Bressane portant le costume d’alors et coiffée d’un chapeau haut. Ce modèle semble être à l’origine de la grande coiffe noire reconnue comme bressane mais son apparition et ses influences restent incertaines : est-elle inspirée de la coiffe des Piémontaises, de celle d’une région reculée de l’Espagne ? De nombreuses questions sont posées, s’ajoutant ainsi au charme et au mystère entourant les coiffes souvent louées par les régionalistes pour qui leur forme accentuait la beauté des Bressanes…
Quoi qu’il en soit, sur cette gravure il apparait qu’une autre coiffe est portée sous ce grand chapeau, comme si un filet retenait les cheveux ramenés en chignon bas. Cette caractéristique nous ramène à notre petite coiffe qui était portée seule au quotidien mais également sous la grande coiffe lors des fêtes, effectivement afin de retenir la chevelure.
Mais qu’elle soit grande ou petite, au cours des siècles, la coiffe a évolué différemment selon les provinces et contrées jusqu’à devenir parfois particulière à chaque village. Ainsi, là où la petite coiffe de la Bresse de l’Ain enserre simplement l’arrière de la tête en étant retenue par une petite bride, celle la Bresse louhannaise, dite aussi coiffe à bourrelet ou de Montpont maintient-elle toute la tête pur se terminer en une bride formant un gros nœud sous le cou.


Telle était représenté la coiffe bressane en 1530 (illustration tirée de Coiffes entre Bresse et Bourgogne, Bourgeois)
et la coiffe à bourrelet de Montpont était portée ainsi (Groupe folklorique de Sainte-Croix).  

La coiffe comme indicateur social  1er septembre 2007
Concernant la grande coiffe, dans notre région de Bresse Louhannaise, un modèle était avant tout porté, le "cocardiau". Il était caractérisé par des pans de tulle descendant du plateau circulaire sur les épaules de la femme et par la forme particulière de l’armature en laiton qui ressemblait à des bouquets ou à des choux-fleurs : à Sainte-Croix, cette coiffe était agrémentée de volutes de tulle enroulées dans le cocardiau lui-même, ce qui lui a valu le nom de "nid d’oiseau" du à sa ressemblance avec le perchoir des volatiles. Ce cocardiau se portait au nord d’une ligne passant de Romenay à Varennes-Saint-Sauveur ; au sud, le laiton prenait la forme d’une cheminée, plus ou moins évasée et conique selon les villages, rappelant fortement l’architecture des cheminées sarrasines de cette même région.
Si chaque région culturelle ou village possède ses propres coiffes, ces dernières ont toutes en commun de spécifier l’identité de la personne qui la porte. Dans de nombreuses cultures, le costume, les éléments de parures apparaissent comme des indicateurs sociaux de celui qui les portent : la coiffe, qu’elle soit bressane ou originaire d’autres provinces, par sa couleur, son aspect…  
Laissons là de côté les spécificités des formes de coiffes selon les pays et villages pour nous intéresser plus particulièrement aux codes liées à ces dernières. Lorsqu’une Bressane portait sa coiffe, grande ou petite, on savait déjà d’où elle était originaire étant donné la forme de celle-ci. Ensuite, on connaissait son niveau de richesse grâce à la façon et aux finitions de la coiffe : concernant la petite coiffe, plus elle était brodée et plus elle comptait de "ruches" (les ruches sont les rangs de broderies enserrant le visage), plus la Bressane était aisée. Pour la grande coiffe, la richesse se voyait grâce à la voilette tombant sur le front : plus elle était longue, plus il avait fallu de tissu pour la confectionner et donc payer cher la coiffe donc, automatiquement, plus la femme était riche. Les chaînes à chapeau, bijoux ornant la grande coiffe, venait ajouter de la valeur à cette dernière.


La chaîne à chapeau était un indicateur d’aisance sociale supplémentaire lié au port de la coiffe (Musée du Terroir de Romenay)

 

Les âges de la vie à travers les coiffes  8 septembre 2007
Comme les hommes portaient des bonnets de couleur différente selon leur âge, les coiffes étaient différentes selon le "statut". Déjà, dès la naissance garçon ou fille portait un bonnet afin de le protéger des changements climatiques mais aussi du mauvais sort qui pouvait le guetter s’il restait tête nue. Si les deux sexes étaient vêtus de la même façon en robe, la coiffe d’enfance et plus particulièrement son assemblage les différenciait : celle des garçons était formée de six pièces dites en "côte de melon" et rejointes à l’arrière de la tête et formant une sorte de pompon en soie de couleur ou en tulle,  celle des filles appelée "béguin" était constituée de trois pans de tissus, deux pièces de côté et une médiane. Les garçons pouvaient porter leur bonnet jusqu’à dix-sept ans et les filles jusqu’à leur communion.
Pour elles, c’était ensuite la coiffe d’adolescence très simple ressemblant à la petite coiffe mais distincte néanmoins par la couleur de la bride passant sous le menton : cette dernière était de couleur rouge. Le jour de son mariage, la bressane portait une coiffe qui lui était offerte par sa demoiselle d’honneur et devant être la plus belle possible : ainsi elle était enrichie de broderies et parfois de fils d’or ou d’argent.
Une fois mariée, la femme porte une coiffe où la aussi la mentonnière indiquait le statut matrimonial particulier : elle est dite à "béquillons" c’est-à-dire que la bride est le prolongement du premier rang de rucher et est ainsi constituée de dentelles ou de tulle tuyautée. Cette coiffe, les Bressanes pouvaient la porter jusqu’à la fin de leur vie mais en vieillissant, certaines portaient simplement un fichu ou un mouchoir de tête mais il était d’usage d’inhumer les femmes avec leur plus belle coiffe.
Enfin, nous avons déjà eu l’occasion de le mentionner auparavant, le deuil s’affichait sur les coiffes des femmes : laissant de côté tout signe extérieur de richesse, la coiffe était sans ornement, de bride noire et à un seul rang de rucher. Pendant la période de demi-deuil soit deux ans après le grand deuil, les coiffes supportaient des broderies de couleur noire ou sépia sur le fond ou le rucher et les marques d’aisance sociale réapparaissaient.

Le béguin des filles était formé de trois parties alors que le bonnet des garçons comportaient six pièces en côtes de melon
(illustrations tirées de Coiffes entre Bresse et Bourgogne, Bourgeois). 

 

La vie d’une coiffe  15 septembre 2007
Si les coiffes accompagnaient la Bressane tout au long de sa vie, elles avaient elles mêmes leur propre vie : de sa confection à son entretien, de nombreux savoir-faire étaient requis.
Si le travail du repassage de la coiffe a toujours été reconnu comme exceptionnel (du repassage dépendait la bonne tenue de la coiffe et donc l’élégance de celle qui la portait), sa confection était assimilée à un "simple" travail de couture. Réalisées à la demande, les coiffes bressanes l’étaient par des petites mains excellant dans chaque village dans l’art de mettre en valeur les étoffes notamment grâce à des broderies parfois agrémentées de fils d’or ou d’argent ou de paillettes.
Comme tout vêtement, la coiffe abimée était réparée à la maison ou par une lingère, cette dernière vivant de l’entretien des linges, lavage, raccommodage… Mais le repassage de la coiffe requérait quant à lui une habileté sans égale car c’est du repassage que dépend la forme définitive de la coiffe.
Avec la disparition du port du costume traditionnel et de sa coiffe au début du 20ème, le métier et les techniques de la repasseuse, présente dans chaque village, ont eux aussi disparu, ravivés cependant par quelques groupes folkloriques locaux lors de manifestations régionales. La repasseuse novice apprenait ces gestes délicats auprès de repasseuses professionnelles souvent issues de la même famille ou de la même localité. Une fois l’apprentissage terminé, la repasseuse installait son atelier chez elle et se faisait sa propre clientèle : il va sans dire que le travail bien fait était un gage de reconnaissance.
Chaque repasseuse avait ses petits secrets pour réaliser l’empois nécessaire au bon repassage de la coiffe mais le matériel utilisé restait plus ou moins le même : de l’amidon, du bleu outremer, des fers à repasser en fonte de différentes tailles afin d’étirer les rangs de dentelles, à coque pour le fond, à tuyauter pour les rangs… Jeannette, molleton, réchauds et marotte venaient compléter l’attirail nécessaire à un bon repassage.
Les coiffes n’étaient pas emmenées chez la repasseuse chaque fois qu’elles étaient portées alors on prenait bien soin de les ranger minutieusement dans l’armoire, dans le creux de la boîte à chapeau, dans un sac en papier, sur une marotte ou encore dans un petit coffret en bois peint. C’est grâce à toutes ces précautions que certains spécimens nous sont parvenus aujourd’hui.


Au musée d’arts et traditions populaires de Châtillon-sur-Chalaronne, l’atelier d’une repasseuse de coiffe a été reconstitué.

 

À la pointe du raffinement : les émaux bressans  22 septembre 2007
Lorsque l’on évoque les costume traditionnels régionaux, ce sont bien souvent les coiffes, les sabots ou les vêtements d’apparat qui viennent à l’esprit, or, il est un élément que l’on oublie trop souvent : la parure, le bijou. Nous avons déjà évoqué les chaînes à chapeaux mais d’autres ornements venaient enrichir le costume en Bresse : les émaux bressans.
Chantés par le poète bressan Gabriel Vicaire en 1929 avec son recueil « Emaux bressans », ils sont évoqués pour la première fois en 1397 à Bourg-en-Bresse grâce aux émailleurs bressans qui ont fait la renommé de ces bijoux qui ont connu leur heure de gloire au 19ème siècle. Au départ portés par les grandes familles bressanes (avant tout dans l’Ain) à la richesse ostentatoire, ce signe de prestige à dépassé nos frontières pour connaître une renommée internationale. Au cours de ce siècle, les grands de ce monde firent la promotion du savoir-faire des émailleurs bressans  à l’image de la reine d’Italie qui portait ces bijoux ou du Shah d’Iran pour qui on réalisa une parure de bureau. Les émaux bressans furent même à la mode à Paris grâce à une artiste lyrique qui, au lieu d’interpréter en 1834 l’opéra de Fra Diavolo en Napolitaine, revêtit le costume bressan paré des plus beaux émaux : toutes les dames les admirèrent et un véritable engouement eut lieu autour des émaux bressans.
La renommée des émaux bressans tient à leur aspect coloré, lumineux, chatoyant (qui allaient par ailleurs à merveille avec le costume bressan puisqu’ils le rehaussaient) mais aussi au grand savoir-faire des émailleurs locaux. La particularité de ces émaux est que l’or qui les compose est directement placé sur l’émail, caractéristique unique en France.
La matière première utilisée par les émailleurs était la poudre d’émail, du cristal affiné, provenant de Limoges, colorée avec du cobalt ou du nickel pour obtenir du bleu, de l’argent, de l’antimoine pour le jaune, du fer, du cuivre, du chrome pour le vert, du manganèse pour le violet, de l’or pour le carmin… Ni champlevés, ni cloisonnés, les émaux sont réalisés sur fond d’argent fin, de vermeil et parfois d’or ; ce font est légèrement croisillonné afin de mieux retenir la couleur ; l’envers est recouvert d’un contre émail pour consolider la pièce.
Après une première cuisson à 860°, on étale sur la pièce refroidie la poudre d’émail et de l’eau : la pigmentation est acquise à froid sauf pour le rouge qui prend sa teinte à la cuisson. Après un deuxième passage au four, on place les "paillons", ces petits filaments d’or travaillés et découpés un à un, symétriquement sur la pièce. Enfin, les "opales", fines perles d’émail blanc disposées dans leurs godets d’or, viennent donner tout leur éclat aux émaux.


La croix bressane d’émaux bressans était l’une des pièces les plus portées autrefois (illustration tirée de Vivre en Bresse, Musée de la Bresse)

Une tradition poursuivie  29 septembre 2007
Une fois terminés, ces émaux sont sertis par le bijoutier ou le sertisseur afin de devenir pendentifs, colliers, croix, bracelets, boucles d’oreilles, broches…, tous ces bijoux étant porteurs de sens et de valeurs ; ainsi la croix bressane, inspirée de la "Jeannette", protège-t-elle. Les boucles d’oreilles quant à elles étaient portées par les deux sexes : en effet, on leur donnait un pouvoir prophylactique devant améliorer la vue, chasser les humeurs, éviter les maux… Les broches étaient très portées en Bresse, en forme de cœur, d’étoile, à pendeloques… Une de ses variantes étaient "l’épingleto", une broche longue servant à épingler la bavette du tablier : ce bijou s’est popularisé par la suite puisqu’un modèle représentant une petite pensée en son centre fut créé en série au 19ème siècle et qu’il agrémenta la poitrine de toutes les paysannes, même de condition modeste.
Un autre bijou réalisé à partir d’émaux bressans était le "collier d’esclavage". Ce collier était constitué de plusieurs chaînes d’or (d’où son nom) reliées entre elles par des plaques émaillées rondes, ovales ou en croissant, que le promis offrait à sa bien-aimée lors des "approchailles" ou "accordailles". Ce bijou a été très en vogue lors de la seconde moitié du 18ème siècle et d’autres modèles en laiton doré ou en vermeil furent créés.
Objet unique et de valeur, les émaux bressans ont été réalisés au 19ème siècle par de grands émailleurs à Bourg-en-Bresse comme Bonnet et Fornet puis Decourcelles et Jacquemin au 20ème siècle : leurs noms est à jamais gravé sur leurs pièces grâce à leurs poinçons, marque obligatoire depuis 1797, date à laquelle l’or et l’argent sont assujettis à l’impôt et leur emploi contrôlé. Et au 21ème siècle, me direz-vous ?
Et bien au 21ème siècle, la tradition des émaux bressans se poursuit grâce à la maison Jeanvoine installée à Bourg-en-Bresse depuis 1998 et formée par les derniers émailleurs du siècle dernier. Une nouvelle et jeune génération réalise encore aujourd’hui ces fabuleux émaux bressans dans le respect de la tradition et du savoir-faire, réalisant leurs pièces uniques à la main, comme il y a cent ans, selon les mêmes techniques. À ces techniques ancestrales viennent cependant s’ajouter une créativité contemporaine : de nouvelles formes, de nouvelles couleurs (les bleus, rouges et verts sombres sont remplacés par des turquoise, jaunes ou violets) apportent un nouvel esprit à ces bijoux chargés de symboliques et d’âmes offerts à nouveau pour de grandes occasions et que l’on gardera à vie.

 Les "paillons" et les "opales" sont toujours là mais de nouvelles formes et de nouvelles couleurs viennent enrichir
le répertoire des émaux bressans, pièces uniques à chaque fois.   

 

Adeline Culas