Les usages liés aux grands moments de la vie
Après avoir évoqué en 2006 les croyances et usages liés au cycle de l’année, préoccupons-nous désormais de ceux liés au cycle de la vie.
C’est avec raison que Lucien Guillemaut notait que l’on naît, on meurt à toute période de l’année et qu’en plus des traditions liées aux saisons ou aux travaux des champs venaient s’ajouter celles liées à la vie des hommes. Ces usages, mœurs spéciales, préjugés et superstitions relatifs à la naissance, au mariage, à la mort ou à divers évènements restèrent pendant longtemps dans les habitudes de nos campagnes comme en Bresse. Certaines pratiques et coutumes anciennes aujourd’hui disparues survivent encore dans quelques mémoires, habitudes ou expressions.
Débutons donc par le commencement, par la naissance et avant tout l’accouchement. La femme enceinte, en Bresse autrefois, devait travailler à la ferme auprès de son époux et de sa famille le plus tard possible afin d’aider aux travaux agricoles et ménagers. Lorsque les premières douleurs se faisaient sentir, on allait quérir la sage-femme : cette dernière n’était pas présente dans tous les villages mais l’on faisait bien souvent appel aux « matrones », ces vieilles femmes mères elles-mêmes de plusieurs enfants et ayant quelques connaissances empiriques en la matière.
L’accouchement se faisait à la maison : la maman était souvent accompagnée de sa propre mère ou d’une autre femme proche. Lorsque tout se passait bien pour l’enfant comme pour la mère (le manque d’hygiène ou le travail excessif avaient bien souvent des conséquences dramatiques), la sage-femme coupait le cordon ombilical et le ligaturait par un nœud ou au moyen d’un fil spécial. Alors que l’on prescrivait à la maman un verre de vin chaud pour reprendre des forces, on emmaillotait le nourrisson après l’avoir baigné, séché et vêtu avec précaution. Son corps était pris comme dans un sac, lui évitant tout mouvement, et sa tête recouverte d’un petit bonnet.
On le couchait ensuite dans un berceau ou une bercelonnette au confort rudimentaire mais soigné et c’est ainsi que débutait la vie d’un petit Bressan autrefois…
Enfants « nés coiffés » et « désirs »…
Les signes tenaient autrefois une place très importante dans la vie quotidienne des Bressans : au moment de la naissance, ils présageaient sur l’avenir de l’enfant.
Concernant la naissance, une particularité bien connue était l’enfant heureux d’être « né coiffé », c’est-à-dire la tête recouverte d’une petite peau, un morceau de membrane amniotique: on pouvait ainsi espérer pour lui un brillant avenir. Si elle n'est pas enterrée ou brûlée, la coiffe pouvait être séchée et conservée comme talisman. On lui attribua longtemps de nombreuses qualités: elle devait protéger de toute mort violente, notamment par noyade en souvenir du liquide amniotique.
Comme on l’a vu précédemment, les femmes poursuivant leurs travaux quotidiens jusqu’à l’accouchement, le nourrisson pouvait ainsi venir au monde en pleine campagne où chaque lieu de naissance avait un sens sur la destinée de l’enfant : si il naissait aux champs, il serait courageux ; si c’était au four, il serait gourmand et fragile ; et si c’était sur un fagot, il serait pauvre, vigoureux et aventurier…
Déjà chez les Romains, on pensait que les dieux, s’occupant ainsi de l’enfant avant sa naissance, devaient avoir pour lui des vues favorables : la déesse de la naissance, « Carmentis », était aussi celle de la prophétie. La simple façon de naître pouvait présager le destin d’un enfant et déterminer le choix de son nom décrivait la singularité de sa naissance. Ces croyances se retrouvent encore aujourd’hui dans de nombreuses cultures traditionnelles, notamment en Afrique.
A l’inverse, certains signes étaient jugés funestes : naître les pieds en avant était ainsi jugé contraire à la nature. A Rome, pour détourner le danger d'une mauvaise présentation de l'enfant, on invoquait deux « Carmentes », « Antevorta » (celle qui tourne en avant), et « Postverta » (celle qui tourne en arrière).
On parle aussi souvent de ces taches qui existent parfois sur la nouveau-nés et appelées les « envies » : selon les préjugés, elles ne pouvaient être que le résultat des désirs, curieux et bizarres, parfois indiscrets, de la mère pendant la grossesse…
Le baptême : le commencement de la vie
Autrefois, le baptême était un passage important puisqu’il signifiait la naissance en tant que tel de l’enfant, son entrée dans la vie.
Autrefois, on baptisait l’enfant le plus tôt après sa naissance : la mortalité infantile étant élevée, on voulait se prémunir de la perte d’un être non baptisé donc non chrétien et ne pouvant accéder à l’au-delà. Généralement, on ne baptisait pas les enfants au-delà de quinze jours sinon il ne pouvait pas être carillonné et sa famille se voyait déconsidéré. Comme pour les enterrements, le tintement des cloches, leur force et leur nombre, dépendait du rang social de la personne célébrée et de la somme versée au sacristain…
Le baptême était aussi le cérémonial qui donnait son prénom pour la vie au nouveau-né : souvent, on lui donnait celui d’un parent, de son parrain ou de sa marraine. Le choix de ces deux personnes était fait avec attention : ainsi, par exemple, on se gardait de choisir pour marraine une femme enceinte car elle-même ou l’enfant qu’elle portait aurait grand risque de mourir dans l’année.
Du fait de la proximité de l’accouchement et du baptême, il était rare que la maman assiste au baptême de ses enfants : dans les conditions de vie évoquées plus tôt, son état de faiblesse ne le lui permettrait pas, mais quand bien même, l’Eglise le lui interdirait formellement avant ses « relevailles », cérémonie que nous évoquerons la semaine prochaine. C’est donc un cortège constitué de la sage-femme ou d’une voisine qui a aidé à l’accouchement, du parrain, de la marraine et du père qui se rendra à l’église.
Souvent, la cérémonie était suivie d’un repas de famille qui réunissait quelques voisins et amis au cours duquel le parrain offrait des boîtes de dragées à la marraine et au curé ; il ne manquait pas non plus de faire un cadeau à la jeune mère.
L’origine de la dragée, confiserie associée aux baptêmes, premières communions et mariages reste vague, toujours est-il qu’offrir des dragées pour se souvenir de ce jour important est une tradition qui a traversé les siècles. Symbole de bonheur, de prospérité et de longévité, la dragée est également signe de fécondité.
La messe de « relevailles »
Si la mise au monde d’un enfant était vécue comme un acte naturel, le regard porté sur la mère lors de la grossesse était différent…
Après la naissance de son enfant, la femme bressane devait attendre sa messe de « relevailles » pour pouvoir reprendre ses travaux quotidiens. Cette messe avait lieu à l’église du village lorsque l’état de la mère s’était amélioré après ses couches : le prêtre la bénissait, à l’image de la Vierge Marie, s’appuyant sur une prescription de l’Ancien Testament. Depuis 1969, cette messe a été remplacée par une bénédiction spéciale adressée à la mère lors du baptême de son enfant.
Tant qu’elle n’avait pas assisté à ses relevailles, une foule de précautions étaient à prendre pour la jeune femme. Elle ne devait pas sortir de chez elle avant cette purification, ne devait pas s’occuper de divers soins du ménage et du laitage sous peine de la gâter. De même, les gaudes se seraient « encatonnées », les matefans resteraient collés au fond de la « casse », la lessive blanchirait mal le linge… Ainsi, on imagine qu’elle avait hâte de se faire emmener à l’église par la « commère » qui avait rempli le rôle de sage-femme, de se faire « rebénir » et purifier…
Le regard que l’on portait sur les femmes lors de leur grossesse était particulier : c’était un devoir pour elle de donner des enfants à son époux mais cette période était souvent vue comme une souillure en référence au péché originel et à un acte défendu par l’Eglise. Les relevailles permettaient donc de purifier la mère de son péché. Pendant la grossesse, elle n’avait d’ailleurs pas le droit d’entrer à l’église.
Mis à part ses interdictions d’ordre religieux, de nombreuses croyances et mauvais sorts sortis de l’imagination populaire guettaient déjà la femme pendant la grossesse : une femme enceinte ne devait pas jeter d’eau la nuit sous peine de perdre les eaux ni avoir tué un porc ou une volaille sans risquer d’avoir une hémorragie…
Entre interdits et regards peu complaisants, l’accouchement et la messe des relevailles étaient attendus avec hâte pour la mère bressane autrefois…
Adeline Culas