La demande en mariage autrefois

Reprenons donc le cours de la vie d’un jeune bressan : après la naissance, le mariage était l’un des grands évènements de la vie…

Le mariage autrefois, bien qu’il impliquât principalement deux êtres, était une question très importante dans la vie des familles : on mettait avant tout en jeu, outre les questions morales et sentimentales, des enjeux matériels tels que la possession de terrains et la place dans la hiérarchie sociale. En Bresse, pour connaître la fortune de la famille du futur conjoint, on se fiait à la hauteur du tas de fumier dans la cour : plus il était haut, plus il y avait un cheptel et donc une fortune d’importance. Bien souvent, encore au début du XXème siècle voire après pour certaines familles regardantes quant au devenir de leur nom et à leur image, on choisissait son conjoint dans la même classe sociale que soi : il était impensable de marier un fils de propriétaire à une servante, ou inversement. Il était parfois admis que les deux familles soient du même corps de métier ou plus souvent du même village : dans le Revermont, il était très rare que l’on aille choisir une femme de Bresse ; dans l’Ain et dans les villages du Louhannais une formule illustrait élégamment cette pratique : « pourquoi aller chercher du fumier chez le voisin quand on en a à sa porte »…

Bien que les jeunes gens d’autrefois soient occupés à  leurs activités distinctes et que l’on séparait très tôt filles et garçons, notamment à l’école pour ceux qui y allaient, les rencontres étaient possibles au cours des fêtes patronales, des bals de village, des veillées : nous avions ainsi évoqué la tradition voulant que si une jeune femme laissait tomber sa quenouille en filant et qu’un jeune homme la ramassait avant elle, il avait le droit de l’embrasser.

Lorsqu’une idylle s’annonçait, les familles et tout le village étant au courant, les « formalités » commençaient, impliquant toute la communauté familiale. Une fois le choix du conjoint défini (et autorisé par tous), on envisageait la « demande en mariage » entre parents, une personne de confiance jouant le rôle de référent et d’entremetteur.

 Entre « courtisailles », « approchailles » et « accordailles »

Lorsqu’une jeune personne désirait se marier avec l’élu de son cœur (ou élu par intérêt), de longues discussions s’annonçaient alors entre les deux parties…

Comme le voulait la tradition, l’entremetteur se rendait chez les beaux-parents pour une visite : on parlait du bétail, des récoltes, du temps puis l’on abordait avec délicatesse la question centrale de cette rencontre. Les futurs beaux-parents demandaient alors à réfléchir…

Lorsqu’il y avait refus, ce n’était pas direct : on avançait un âge trop jeune, d’autres demandes, un temps plus long de réflexion… Combien d’idylles ont été brisées devant un refus pour cause de richesses inégales, de familles pas assez « comme il faut » ou ne se rendant pas assez souvent à l’église… Si la réponse était oui, le jeune homme pouvait courtiser sa compagne mais toujours chez ses parents : ces « courtisailles » ou « approchailles », comme on les appelait, duraient longtemps en Bresse… Dans les intérieurs bressans à cheminée sarrasine, la promesse de mariage se faisait sur l’archebanc, sorte de banc coffre sur lequel étaient conclues les grandes décisions et invitées à s’y asseoir, les personnes d’importance.

C’est alors qu’il fallait discuter des biens matériels, fonciers et financiers, souvent sources de désaccord. Puis arrivait tout de même le jour d’une décision, les « accordailles », où l’on parlait des biens et dots apportés par chacune des parties et de l’installation des futurs époux ; un repas long et copieux pris chez les parents de la jeune fille accompagnait cette discussion. Une fois toutes ces questions d’ordre matériel mais d’importance, éclaircies, l’on se rendait chez le notaire afin de lier un contrat, détaillant toutes les pièces du trousseau et les biens des futurs époux. On pouvait alors fixer la date de la noce et faire publier les bans à la mairie et à l’église : on évitait de se marier en mai, mois considéré néfaste pour le mariage et illustré par des proverbes tels que « Noces de mai ne vont jamais » ou encore « Mariage au mois des fleurs, mariage de pleurs »… 

 Les fiançailles : dragées et prise de tabac

Ce que nous appelons aujourd’hui les fiançailles se résument en un repas officialisant les relations d’un jeune couple : autrefois, il s’agissait d’une période de visites et de présents.

Avant le jour du mariage, restait une « formalité » qui était les fiançailles : elles permettaient d’officialiser les choses mais aussi de dissuader définitivement de potentiels courtisans… Les deux jeunes gens, accompagnés du garçon et de la fille d’honneur, rendaient visite aux membres des deux familles afin de faire les invitations et présenter l’élu(e) choisi(e) : la future offrait des dragées et le futur une prise de tabac. Les personnes visitées et invitées à la noce les accueillaient avec de bons repas améliorant l’ordinaire et leur faisaient des cadeaux comme la tradition le voulait, en fonction des richesses de chacun. Les beaux-parents offraient des robes à la fiancée et du linge au futur gendre ; les parrains et marraines quant à eux, se montraient plus généreux, offrant de la vaisselle et des bijoux.

Des témoignages ont rapporté que pendant cette période de fiançailles, il est arrivé que le garçon d’honneur eut finalement la préférence de la future plutôt que l’époux prévu ! D’autres attestent que cette protection rapprochée permettait d’éviter les cas de « consommation » avant le mariage : la chasteté était bien évidemment de rigueur et des cas « d’engrossement » avant le mariage permettaient à un couple dont l’union n’était pas acceptée par tous d’avancer et d’assurer leur mariage. Bien évidement, cela était très mal vu et lorsque une jeune femme avait « cassé ses sabots » avant le mariage, il était célébré très simplement, avec le moins de démonstrations possibles et très tôt le matin ou tard le soir.

C’est durant cette période que les futurs époux commencent à se séparer des amis de leur âge : le jeune homme invite ses compagnons à un banquet pour enterrer sa vie de garçon comme cela se fait encore aujourd’hui, et la jeune fille visite ses amies et leur offre de petits présents.

 Le « Tracassin »

Une coutume était autrefois célèbre partout en Bresse et donnait lieu à de joyeuses soirées : le « tracassin »…

Lorsqu’un célibataire épousait une veuve ou inversement, le mariage était précédé du rite du « tracassin », se déroulant après la date des fiançailles officielles et rappelant le « charivari ». Un groupe de personnes (en général de quinze à trente) composé de voisins, d’amis, des jeunes du village mais aussi de curieux, d’opportunistes pour qui c’était l’occasion de boire à moindre frais, se réunissait un soir après le repas chez le ou la future. En principe, par respect du défunt, le tracassin ne se faisait pas chez le veuf ou la veuve.

La joyeuse bande avançait à tâtons et sans bruit près de la maison, veillant à ne pas se faire voir ni faire aboyer le chien de la ferme mais muni d’un ustensile propre à faire le plus de bruit de possible (casserole, bidon…) au moment propice. On attendait que tous les feux de la ferme soient éteints et une fois cette certitude acquise, chacun tapait sur son instrument de musique improvisé, le tout dans un tintamarre assourdissant.

La plupart du temps, l’intéressé(e) et sa famille se levait accueillir ces invités impromptus que l’on se dépêchait de servir en boisson autour de la table. On adressait alors ses vœux au futur ou à la future puis on chantait, dansait si un musicien faisait partie de la troupe. Une fois la fête terminée, chacun rentrait chez soi et la personne visitée pouvait se recoucher, satisfaite d’avoir passé cette étape. Par contre, si personne n’ouvrait, les jeunes gens invectivaient ces hôtes peu aimables et faisaient durer le tracassin longtemps dans la nuit et plusieurs jours de suite.

Une tradition empêchait que le tracassin ne se fasse : il suffisait, dès le début des fiançailles, de faire annoncer par le garde-champêtre, le dimanche matin après la messe, l’organisation d’un bal où tous étaient invités à l’occasion des noces. Seulement, on s’arrangeait pour donner des informations imprécises, de choisir des lieux inaccessibles et une date farfelue si bien qu’aucune festivité n’avait lieu mais par cette invitation publique, plus personne ne pouvait prétendre vouloir faire le tracassin à un couple.  

 C’est la noce !

Enfin ! Voici l’heureux jour du mariage ! La journée s’annonce longue pour les invités et pleine de festivités pour les époux.

Les invités étaient composés de la famille proche et lointaine, la camarade de communion demoiselle d’honneur, la couturière ayant confectionné la robe, les amis, les voisins, les « utilités » à savoir les personnes ayant un moyen de locomotion, et le chien, souvent présent sur les photos de mariage ! Tout ce beau monde se rendait, dans leurs plus beaux habits, chez la future mariée où on prenait une petite collation pour bien démarrer la journée, les noces ayant lieu en général tôt le matin et le repas s’annonçant assez loin du fait des multiples cérémonies et évènements attendus.

On attendait alors souvent la mariée qui se faisait désirer de la noce mais aussi de son époux qui ne l’avait encore pas vu dans sa robe : encore aujourd’hui, il est souvent avancé que l’époux ne doit pas voir la robe de sa future avant le jour de la noce sous peine de mariage malchanceux… Une fois les invités rassasiés de café, vin blanc, marc, brioche… et la mariée apprêtée, on se dirigeait vers les voitures à cheval décorées pour l’occasion de rubans blancs.

Le cortège était un moment important de la noce : aujourd’hui substitué par des voitures décorées et klaxonnant, il répondait autrefois à des règles imposées. La première voiture était ainsi constituée de la mariée, son père, le couple d’honneur et le ménétrier avec sa vielle ou sa clarinette (chaque évènement marquant étant accompagné de musique en Bresse) alors que le cortège était clos par le marié et sa mère. Au sein de ce cortège, le transport de l’armoire qui contenait le trousseau de la jeune fille constituait un véritable cérémonial que l’on voyait encore à la fin du XIXème siècle en Bresse : sur le devant de la voiture, la quenouille se dressait, chargée de rubans, avec le fuseau et l’œuvre, et le départ avait lieu au son de la viole et de la cornemuse.

Ainsi formé, on se rendait à la mairie où le maire, par ailleurs invité à l’apéritif, après quelques formalités et les différentes quêtes, présentait ses vœux aux époux. On se dirigeait alors à pied à l’église où le prêtre attendait le cortège sur le parvis.

 La cérémonie religieuse

Après être passé devant le maire, les époux devaient faire bénir leur union par le prêtre et s’échangeaient les alliances.

La cérémonie se célébra pendant longtemps hors de l’église, sous le porche couvert : les fiancés étaient placés sous le « pattin », sorte de drap ou nappe brodée, qui était tenu par le garçon et la fille d’honneur, au-dessus de la tête des époux. Cette pratique, conservée encore dans de nombreuses paroisses au début du XXème siècle, a remplacé une autre plus ancienne, médiévale, la bénédiction des époux couchés dans le lit nuptial.

Les anneaux bénis par le prêtre et que les mariés se passent au doigt ne doivent pas avoir de chaton qui romprait l’uniformité que doit présenter l’emblème de la fidélité. L’époux prend soin, lorsqu’il met l’anneau au doigt de son épouse, de bien le pousser après la deuxième jointure : s’il en était autrement, la femme serait la maîtresse au logis. Mais elle, de son côté, ne manque pas de plier le doigt pour que la bague ne puisse aller plus loin, car elle tient à avoir le présage de son profit.

Les anneaux sont accompagnés d’une pièce d’argent dont l’offrande à l’épouse, regardée comme le signe de l’abondance, répond aussi, comme celui de l’anneau, aux traditions de la plus haute Antiquité. Depuis l’époque gallo-romaine, on choisissait l’annulaire de la main gauche pour  placer l’alliance car un canal était sensé le relier au foie, alors considéré comme étant le siège des émotions et donc de l’amour.

A la sortie de l’église, les enfants de chœur tendaient un long ruban blanc barrant le chemin : une étrenne et les bises de la mariée et des jeunes filles de la noce permettaient de dégager le passage. Cette barrière était bien moins importante que celles qui attendaient le cortège tout au long de la route menant au lieu où était organisé le repas, chez la mariée où à l’auberge du village… Précédé par deux musiciens, le cortège était égayé par les jeunes gens de la noce qui tiraient des coups de pistolet et huchaient en signe de réjouissance et comme pour avertir toute la population de l’évènement.

 Des barricades dans la campagne…

Le cortège, comme on l’a vu était un élément essentiel de la noce : chacun accompagnait le jeune couple vers sa nouvelle destinée déjà semée d’embûches…

Lors du retour à la maison, il était autrefois d’usage de placer sur le chemin que devaient parcourir les époux à leur retour de l’église, une quenouille à laquelle était suspendue un fuseau, et à côté se trouvait un berceau d’enfant. C’était une manière de représenter à l’épousée les devoirs qui l’attendaient au logis. Le cortège trouvait encore sur son chemin un certain nombre de petites barrières qu’on avait eu soin d’élever et que la mariée devait franchir la première. Elles étaient autrefois composées d’épines mêlées de guirlandes et de fleurs, image des peines et des joies de la vie puis furent remplacées selon l’époque et l’endroit par d’autres traditions. Dans le Revermont, on « montait les tables » c’est-à-dire que l’on barrait le chemin par des tables chargées de vins et de gâteaux auxquels il fallait faire honneur pour pouvoir continuer : on coupait également un ruban blanc et un discours était prononcé. Dans l’Ain, ces barrières étaient composées de matériel agricole (chars, tombereaux, herses…) que les jeunes gens de la noce enlevaient dans la bonne humeur, permettant au cortège de passer et d’arriver au domicile de la mariée.

Les plus proches parents offraient aux époux, avant de pénétrer dans leur demeure, un gâteau, dont ceux-ci mangeaient chacun un morceau, et ils leur servaient également à boire dans le même verre. Puis, ils jetaient sur leur tête une poignée de blé ou de millet pour leur souhaiter une postérité nombreuse, prospérité et abondance. Il était d’usage, notamment à Saint-Usuge, que les jeunes gens de la noce présentent aux époux une branche d’épines cachées sous des fleurs, des fruits, des ornements, en chantant ; puis les convives emportaient les fleurs et laissaient les épines aux nouveaux mariés. En Bresse, par la suite, on plaçait généralement un balai de bouleau ou de genêt en travers du seuil de la porte que la mariée devait enlever pour être considérée comme bonne ménagère.

 Une photo et un repas pour immortaliser le mariage

Le repas de noces était le moment le plus attendu de la journée et marquait le début des réelles festivités pour les invités.

On pouvait alors partager le repas de noces, pris chez la jeune mariée ou dans l’auberge du village : avec la généralisation de la photographie, c’était juste avant le repas que l’on prenait la photo du groupe entourant les époux et immortalisant ce jour. Comme pour les photos de conscrits, on faisait poser avec la noce les personnes préparant le repas, le servant et l’animant. A l’heure actuelle, ces photos jaunies, sépias et en noir et blanc ayant inscrit à jamais un moment important d’une famille nous apprennent énormément sur les usages et façon de s’habiller d’autrefois.

Entre ancienne et nouvelle génération, entre hameaux, écarts et bourgs, villes, le costume et la coiffe sont révélateurs de la transition et des changements qui se sont produits au début du XXème siècle entre abandon du costume traditionnel et mise à la mode illustrant les modifications intervenant dans le mode de vivre et de penser. Sur ces photos, comme nous l’avons évoqué, le chien est convié à poser devant le couple, symbolisant le gardien du foyer ; un coq était parfois placé devant le jeune marié marquant par sa présence la virilité du jeune homme.

Le repas lors de la noce était un moment symbolique puisqu’il réunissait les familles des deux époux dans une ambiance joyeuse et était vécu comme les repas pris lors de la machine, où les mets ordinaires laissaient place à une ribambelle de plats, toujours issus des produits de la ferme lorsqu’il se prenait chez l’épousée, mais arrangés par les femmes de la maison. Potages, galantines, viandes diverses, légumes, fromages, desserts, rien n’était laissé au hasard pour que ce moment reste dans toutes les mémoires et saluent un jour heureux.

Le tout était bien évidemment arrosé de vins, liqueurs, goutte et on prenait le temps de savourer ces plats et ce moment. Tout ceci était accompagné de musique, chants et danses et au cours du XXème siècle, le bal ouvert par la mariée et son père ou les garçons d’honneur permettait de se dégourdir un peu avant de prendre le dessert.

 Les traditions sont-elles vraiment perdues ?...

La soirée était marquée par la fuite des époux dans un endroit secret afin de consommer le mariage lors de la nuit de noces…

Si la mariée était la dernière des filles à la maison on allumait un grand feu de joie fait d’épines coupées dans l’Ain et on brûlait un tonneau dans le Revermont. A l’image du tracassin, les mariages insolites, inattendus ou particuliers donnaient lieu à des pratiques ou à des expressions : ainsi, lorsqu’un jeune homme se mariait avant son frère aîné, on avait l’habitude de renverser le paillis ou de parler de « mariage de chanvre » lorsque la femme était plus grande que son mari… 

A la tombée de la nuit, les nouveaux époux étaient emmenés par les jeunes gens de la noce sur un char les conduisant dans des charrières afin de « cahoter » les mariés puis, de retour à la ferme, alors que les danses allaient bon train, le couple s’éclipsait, se jouant de la surveillance du garçon d’honneur. On essayait alors, après leur avoir laissé un moment de tranquillité, de les trouver : souvent, les couples se réfugiaient pour leur nuit de noces chez un membre de la famille au courant de leur cachette mais ne devant dévoiler l’endroit à personne. Parfois, les plats, les vins et la goutte aidant, il arrivait que certains ne puissent tenir leur langue bien longtemps…

Lorsqu’on les retrouvait, les jeunes gens de la noce venaient les cueillir au lit pour leur faire manger le contenu d’un pot de chambre, souvent une soupe au vin à laquelle était ajoutée du chocolat symbolisant la consommation du mariage.

La plupart de ces coutumes sont aujourd’hui tombées dans l’oubli ou ont perdu leur sens mais certains éléments que nous avons évoqués sont toujours de mise de nos jours. Ainsi, une tradition voulait que la jeune épouse donne à ses demoiselles d’honneur une partie de son voile et des épingles ayant servi à la confection de sa robe afin de leur porter chance dans leur quête d’un mari. Elle se retrouve de nos jours dans le lancé du bouquet de fleur de la mariée : la jeune femme célibataire qui l’attrape, sera la prochaine à se marier.

Les temps changent, les choses évoluent, les traditions ancestrales se perdent ou subsistent dans l’imaginaire collectif appartenant désormais à nos propres rites…

Adeline Culas