Le « trequi » des bressans

Nous voici en octobre, mois où les vendanges continuent : en Bresse, il s’agit avant tout du mois où débutait la dépouille du maïs…

Octobre est encore, là où il y a des vignobles, consacré à la continuation des vendanges ; mais, en Bresse, il était peu question de vignes et vendanges (à quelques exceptions comme à Cuiseaux, par exemple). A défaut de vendanges et des fêtes qui les accompagnaient comme réminiscence du culte du dieu du vin Bacchus et des Bacchanales antiques, nous avions comme travail agricole en Bresse, dès que la récolte du maïs commencée en septembre était à peu près terminée, l’arrachage des pommes de terre, des raves, betteraves, carottes et autres racines pour l’alimentation des hommes et des animaux. C’était aussi le moment, une fois les récoltes faites, les labours et semailles terminés, de procéder au curage des fossés et des mares.

Déjà, les soirées vont être occupées par le travail utile des veillées, conséquence des récoltes de maïs et de chanvre. Le trequi récolté, le moment de la dépouille est venu… Dans chaque exploitation, petite ou grande, plusieurs veillées seront occupées par ce travail où voisins et amis venaient donner la main. On raconte, en dépouillant le trequi, les cancans du bourg, les histoires des anciens mais aussi les légendes sordides et mystérieuses du coin, à grand renfort de revenants, vouivres, loups-garous et dames blanches…

Les épis suspendus en nœud sous les larges avant-toits des fermes bressanes leur donnaient les tons dorés du trequi jaune, argentés du trequi blanc et rouges des grains parsemant certaines panouilles.

Dès la fin de septembre, chaque fermier commençait à torréfier dans son four les panouilles portant les grains qui seront détachés ensuite par l’égrenage à la veillée. Transportés au moulin et finement moulus, ils donneront cette bouillie bressane bien connue et nous valant d’être appelés « ventres jaunes » : les gaudes. Servies traditionnellement le soir, tous les jours de la Saint Martin à la Saint Jean, les gaudes étaient cuites dans une marmite d’autant plus grande que la ferme était vaste et la maisonnée nombreuse.

 

Gaudes, rôts, flamusse et millet…

Introduit au début du XVIIème siècle en Bresse, le maïs était à la base de nombreux mets consommés dans les fermes bressanes.

Les « gaudes » étaient autrefois l’aliment habituel de bien des Bressans dont la recette était simple : on jetait la farine dans une marmite renfermant de l’eau que l’on avait fait chauffer. On délayait au moyen d’une grosse cuillère en bois jusqu’à ce que le mélange soit parfait et sans grumeau ; on y ajoutait ensuite un peu de sel. Les gaudes étaient servies chaudes, dans des assiettes ou écuelles, en bouillie plus ou moins épaisse que l’on pouvait additionner du lait mais sans le délayer dans la bouillie.

Aux parois de la marmite restait une croûte dont les enfants se montraient très friands. Ils l’étaient aussi des panouilles lorsque les grains étaient encore tendres et laiteux et qu’on les faisait griller sur la braise : c’est ce que l’on appelait les « rôts ». La « flamusse » était également courante en Bresse : il s’agissait d’un pain fait avec de la farine de maïs non torréfié, à croûte très brune et à mie dorée et un peu épaisse. La consommation de la flamusse a disparu au début du XXème siècle : elle avait cependant donnée son nom  à une Société bressane regroupant des Louhannais habitant Paris. Enfin, un autre mets était en usage en Bresse : le « millet ». Cette sorte de bouillie était faite avec de la farine de maïs non torréfié, délayée dans du lait et cuite au four dans de grands plats peu profonds appelés « milliassières ».

Si les Mâconnais nous appelaient autrefois « mangeurs de raves », on nous donna bien vite également le surnom de « mangeurs de gaudes » et de « ventres jaunes ». Si certains y ont vu une allusion aux pièces d’or où à la montre en or que chaque Bressan cachait le long de sa ceinture, sur son ventre, pour dissimuler toute richesse et éviter tout vol, une autre explication beaucoup plus sympathique était avancée. Nous serons appelés « ventres jaunes » du fait de cette consommation abondante de maïs : nous en mangions autant que nous devions avoir le ventre teinté de jaune, tout comme le ventre de nos volailles, elles aussi grandes consommatrices de maïs… 

Adeline Culas