Cette conférence est présentée dans le tome 3 des Mémoires de Brixia, disponible auprès de l'association les Amis des Arts de Louhans 

Si une main apparaît sur une image vous pouvez l'agrandir en cliquant dessus
 

Dans le cadre des manifestations patrimoniales ‘’Mémoire de Village’’ de l’Association d’Artagnan, a eu lieu, le 6 mars 2005 à Sainte-Croix-en-Bresse une journée d’exposition de meubles et costumes bressans ainsi que la présentation publique d’un document acquis par l’association il y a quelques années lors d’un marché aux puces et restauré depuis à Dijon.

La journée d’exposition et de conférence, le 6 mars 2005 à Sainte-Croix

   Ce document, d’une dimension de 90x115cm, daté du 15 février 1812 représente les terres du marquis de l’époque, à savoir, Eugène de Renouard : ce dernier fit faire ce document par un géomètre de Louhans. Ce répertoire où figurent toutes les terres du marquis de Renouard est ce que l’on appelle une ‘’carte terrier’’ : sont représentées uniquement les parcelles de terrains exploitées pour le compte du marquis, celles-ci étant repérées par des numéros de couleurs différentes ; les parcelles voisines ne sont pas dessinées mais le nom du ou des propriétaires est indiqué. Ce type de document servait au marquis ou autre châtelain afin de répertorier ses terres et de savoir ce qu’il devait faire payer comme ‘impôts’ à ses locataires. Il fonctionnait avec ce que l’on appelle une ‘’matrice’’ c’est-à-dire la liste des parcelles numérotées appartenant au marquis, leur surface et le nom de l’exploitant. Nous n’avons pas ce dernier document à notre disposition, c’est pourquoi la lecture de cette carte terrier reste incomplète de nos jours.
  Notons dès à présent l’intérêt et l’importance de cet objet : ce type de document avait généralement cours avant la Révolution Française et non après celle-ci comme c’est le cas ici. De plus, sont représentés ici tous les cours d’eau, chemins, bois, … : ce relevé a du demander beaucoup de temps et de recherches et n’a pu se baser sur d’autres documents aussi précis que le cadastre puisque ce dernier sera fait un an plus tard à Sainte-Croix, en 1813, date relativement précoce pour la région bressane.
   Reste à savoir les motivations qui auraient poussé Eugène de Renouard à élaborer ce relevé en 1812, cette date ne correspondant ni à une période de rachat du marquisat, ni à une succession ou autre évènement. Apparemment, d’après ses dimensions relativement imposantes et les deux rouleaux de bois enchâssant la carte terrier en haut et en bas, cette dernière, à l’origine, devait être exposée et déroulée. Une fois de plus, nous resterons sur des probabilités puisque, semble-t-il, il n’y a plus de traces des archives du château à Sainte-Croix.
   Lors de la conférence du 6 mars, nous nous étions abondamment penchés sur la toponymie de notre village, c’est-à-dire l’étude des noms de lieux en nous basant à la fois sur Lucien Guillemaut et Gérard Taverdet : cette partie était intéressante lors de l’intervention afin d’éclairer un peu les villageois sur les espaces dans lesquels ils évoluent, ce qui serait en revanche inadapté ici. Notons simplement par principe que nous voyons apparaître les noms de nos villages et hameaux dans les actes sans pouvoir préciser la date de leur construction et leur importance : les documents d’archives indiquent sinon la date de leur création, du moins qu’ils existaient déjà aux dates indiquées dans les actes soit avec une certaine importance, soit à l’état rudimentaire. Les noms donnés aux lieux ont été originairement  significatifs, formés d’après ce qu’en voyaient, ce qu’en faisaient et ce qu’en pensaient les premiers installés sur ces terres. La prononciation et l’écriture de ces lieux-dits ont bien évidemment évoluées au fil du temps, subissant le même procédé de déformation que les patronymes par exemple.

Le marquis Armand-Louis-François-Eugène de Renouard est né en 1774 et mourut en 1831 à Sainte-Croix et eut pour épouse Alexandrine-Marie-Caroline Eon de Cély (1791-1854) ; il eut la particularité d’être plusieurs fois maire de la commune (de 1813 à 1815, de 1816 à 1818 et de 1823 à 1830). La famille de Renouard apparaît à Sainte-Croix en 1760, date à laquelle le marquisat passa du comte d’Iverny à Claude-François de Renouard de Fleury (ancienne famille noble originaire de Bretagne), dont le père était conseiller au Parlement de Paris et lui-même grand maître des Eaux et Forêts de France pour la Bourgogne et la Comté. Cette reprise de fief a lieu 16 ans après que la baronnie soit érigée en marquisat, celui-ci valant alors 360.000 livres et ses mobiliers et bestiaux s’élevant à 50.000 livres. D’après une reprise de fief de 1776, les terre et seigneurie de Sainte-Croix étaient alors à Philibert-Louis-Maurice de Renouard de Fleury, qui prit aussi le titre de marquis de Sainte-Croix.
  Eugène eut deux enfants dont Joseph-Paul-Marie-Albert (1813-1883 au château de Sainte-Croix) qui fut le dernier membre de cette famille à porter ce nom sur la commune puisqu’il eut deux filles dont Elisabeth-Marie-Thérèse (1850-1876) mariée à Albert, vicomte de Mazenod, grands-parents de feu le comte Guy de Varax (1901-1997).
   D’après Lucien Guillemaut, les armes de cette famille de Renouard étaient « d’argent au chevron de gueules, chargé d’un écusson d’argent à une quinte-feuille de gueules, au chef d’azur, chargé de trois étoiles d’or ». Cette description ne correspond pas à l’écu représenté sur la carte terrier.

    En effet, le document, en plus de représenter les domaines du marquis, comporte en bas à gauche l’échelle du plan (« Décamètre à 5.000 pour 1 » c’est-à-dire au 1/5.000), surmontée dudit blason et de la légende : « Plan géométrique des propriétés foncières que M. Eugène de Sainte-Croix possède sur le territoire de la commune de Sainte-Croix et lieux circonvoisins », le tout dans un cartouche à décor végétalisant.
   En bas à droite, dans un cartouche ovoïde souligné d’un trait gris bleuté est indiqué :
« Explication du plan :
Le château et clos en dépendant, ainsi que les prés et fiefs en (…).
Les numéros indicatifs tracés en noir correspondent à ceux du dénombrement des plans 1°, 2, 3, 4, 5 et 6 de  l’Atlas des propriétés/aires.
Domaine du Moulin : les numéros indicatifs tracés en jaune correspondent à ceux du dénombrement des  plans 1°, 2, 4 dudit Atlas.
Domaine de la Minutte
(Minute sur le plan) : les numéros indicatifs tracés en rouge correspondent à ceux du  dénombrement du plan (…) dudit Atlas.
Domaine de Courfoulot : les numéros indicatifs tracés en rouge correspondent à ceux du dénombrement du  plan 4 dudit Atlas.
Domaine du Fouëte
(Fouette sur le plan) : les numéros indicatifs tracés en vert correspondent à ceux du  dénombrement des plans 3 et 4 dudit Atlas.
Domaine des Piguets : les numéros indicatifs en rouge correspondent à ceux du dénombrement du plan 5  dudit Atlas.
L’étang de Varennes qui n’est pas numéroté contient sept hectares 32 ares 49
(…). Les numéros 1°, 2, 3, 4,  5, 6 et 7  (…) faisant autrefois partie dudit étang ont été (ajustés), savoir les numéros 1°, 4, 6 et 7 à Claude  Joseph Philibert (…) ; le numéro 2 aux héritiers Loisi de Tagiset, le numéro 3 à la veuve Danjean de Duretal,  et le numéro 5 à François Marie Ch…… pour … 85 ….
Ledit plan levé à l’acquisition de M. Eugène de Renouard de Ste croix dans le courant des ans mil dix huit  cent dix et dix huit cent onze par le soussigné géomètre résidant à Louhans.
Clos à Louhans le quinze février dix huit cent douze.
                        (Signature illisible) »

   Grâce à cette explication, nous avons mention d’un certain ‘’Atlas’’ qui serait sans doute la matrice avec laquelle fonctionnait notre carte terrier : elle reprendrait différentes données rapportées ici et différenciées par leurs couleurs. Aujourd’hui, ces encres compliquent un peu plus la lecture du document puisque avec le temps le jaune s’efface et les rouge, vert et noir tendent à se ressembler.
   Le marquisat de Sainte-Croix couvrait une superficie d’environ 450 hectares divisés en cinq domaines mentionnés ici : le domaine du Moulin, le domaine de la Minute, le domaine de Courfoulot, le domaine du Foüete (aujourd’hui le Foitay), le domaine des Piguets, ainsi qu’un étang, l’étang de Varennes ; ces différentes terres étant réparties sur Sainte-Croix, La Chapelle-Naude et Varennes-Saint-Sauveur (concernant l’étang). Ces domaines ne sont pas délimités sur la carte mais leur nom est simplement écrit ’en travers’. Mis à part l’église et le château situés au bourg, uniquement quelques rares bâtiments sont représentés ici et dans des tons rouges : il s’agissait en fait des fermes qui régissaient et autour desquelles se regroupaient les terres de chaque domaine. En fait, ces bâtiments agricoles d’hébergeage et d’habitation appartenaient au châtelain qui y plaçait une famille d’exploitants travaillant ses terres : le fermier était tenu de faire toutes les corvées que le propriétaires lui demandait : voiturage de bois de chauffage, curage des fossés et rivières, extraction de sable ou de pierres pour la construction…

    En examinant d’un peu plus près ces domaines, nous allons illustrer ces propos quant aux rapports entre les exploitants et les propriétaires, voir les évolutions, les cas particuliers…

 

   En ce qui concerne l’étang se trouvant, rappelons-le, sur la commune de Varennes-Saint-Sauveur et formant à lui seul un domaine, il reflète l’importance des points d’eau à l’époque. Autrefois, comme dans toutes les communes de Bresse, les étangs étaient en très grand nombre, par exemple : 42 mentionnés sur la carte de Cassini pour Romenay contre trois aujourd’hui. Ce devait être le même cas pour Sainte-Croix puisque des étangs mentionnés sur des actes n’existent plus aujourd’hui : étang de la Bérune (1473), étang des Fousses (1473), étang de Vaulx (1486). Sur notre document, apparaissent seulement deux étangs appartenant au marquisat (en plus de celui situé sur Varennes-Saint-Sauveur) sur le domaine des Piguets : l’étang Neuf et l’étang de la Thuilerie.  Ces deux derniers ne devant pas suffire, c’est pourquoi on ajouta aux terres du marquisat l’étang de Varennes et uniquement le point d’eau, sans terres autour. Les points d’eau revêtaient une importance particulière pour l’exploitation des moulins mais aussi pour la pêche qui ramenait de l’argent dans l’escarcelle du propriétaire. Ainsi, au XIXème siècle, les étangs étaient pêchés tous les trois ans mais n’avaient des droits sur les poissons que ceux ayant une portion de l’étang ; le reste des poissons était vendu.

   Le domaine de Courfoulot possède encore aujourd’hui sa ferme dans laquelle vivent encore les descendants de ces familles d’exploitants placées pour travailler les terres. Ce domaine illustra le fait qu’au fil du temps, on passa de la location à l’achat des terrains par les fermiers. C’est ainsi qu’au début du XVIIIème siècle nous voyons la famille Maréchal acheter 50 hectares de bois et 50 hectares de prairies loués auparavant aux Renouard. Et c’est par ce moyen, que peu à peu, les fermiers épargnant afin d’être propriétaires de leurs terres et, sans doute, les dépenses des châtelains devenant de plus en plus importantes, les domaines disparurent et revinrent aux descendants des fermiers ayant exploités ces terres « depuis toujours » comme on dit en Bresse.
    A l’époque nous concernant, il ne faut pas s’imaginer encore les relations médiévales serfs/suzerains. Bien évidemment, on ne se côtoyait pas d’un monde à l’autre mais des relations assez nombreuses existaient entre le châtelain et son fermier puisque nous trouvons traces dans les archives de ces familles de nombreux actes de reconnaissance où les deux parties sont convoquées ensemble pour une reconnaissance de visite estimative d’un géomètre sur un terrain entré en jouissance à titre de bail à fermier, pour un état des lieux après dommages, … même si le propriétaire pouvait être plus ou moins généreux…
 

   Le domaine des Piguets voit lui aussi sa ferme toujours debout et même très bien restaurée dans le plus pur style bressan par la famille Vittelaro, arrivée il y a une quinzaine d’années à Sainte-Croix et qui en a fait aujourd’hui une exploitation avicole.  Nous savons peu de choses sur ce domaine puisque les familles Buchaillard et Charbouillot, anciens propriétaires, ne sont plus sur les lieux et aucun document d’archives n’a été retrouvé jusqu’à présent.

 
Bâtiment d’habitation

  

Bâtiment d’hébergeage

 

   En tout cas, on peut avancer sans trop d’erreur que ce devait être la plus grosse et la plus importante ferme des différents domaines : le bâtiment d’habitation aux pans de bois typiques XVIème-XVIII°ème siècles et à la magnifique charpente fait face au bâtiment d’hébergeage en briques, encadrant une vaste cour où est le puits ; derrière l’habitation se trouvent les restes d’un ancien four. A l’origine, un autre bâtiment devait clore la cour côté sud faisant ainsi de cette propriété une ferme tripartite typique. Une tuilerie devait certainement avoir existé donnant son nom à l’étang de la Thuilerie sur lequel semblait être un moulin mentionné aux XVIIIème et XIXème siècles.
   A l’intérieur de l’habitation, sur de nombreux pans de bois sont inscrits des signes marqués vraisemblablement par les ouvriers ayant participé à l’élévation de la ferme. On peut également encore voir très distinctement dans un des pans formant l’un des jambages de l’entrée de la maison le trou fait par la faucille du grand valet. En effet, dans les fermes, lorsque le grand valet, c’est-à-dire le domestique à qui il incombait le plus de responsabilités, rentrait des champs, pour montrer qu’il était de retour à la ferme et donc présent si on voulait lui demander quelque chose, il plaçait sa faucille dans l’un des jambages d’entrée de la ferme si bien qu’avec le temps, cette simple fente laissée par la faucille se transforma en une cavité d’assez grande dimension.

 
Le four

 
L’encorbellement et l’emplacement de l’escalier

    La charpente, visible dans la partie d’habitation, est absolument exceptionnelle de finesse d’exécution et de recherches techniques : en témoignent les croix de Saint-André placées sous la panne faîtière et soutenues par des contre-fiches uniquement pour l’agrément puisque d’aucune utilité dans l’ossature de la ferme ; la structure de la charpente du pignon est quant à elle semblable à une abside avec cet enchevêtrement de pièces  de bois. Subsistent également les restes d’un escalier sur la façade sud reposant en partie sur un encorbellement : comme dans les maisons dites « hautes et basses » de Bresse, la ferme des Piguets voit son deuxième niveau d’élévation déborder du premier.  

 

 

 Charpente du bâtiment d’habitation

    De nombreuses tuiles couvrant la toiture de l’habitation comportent des inscriptions dont une portant la date  de « 1725 », une autre « 1870 » entourée de motifs doubles ondoyants et une autre mentionnant «1893 Grande Sécheresse ».

    Le domaine de la Minute est celui dont nous connaissons le plus l’histoire. Il est déjà mentionné en 1473 sous le nom de « La Menute » et « La Menute près Sainte-Croix » et le nom de ce lieu-dit viendrait du fait qu’il soit situé à une distance d’une minute du château de Sainte-Croix via un ponceau sur un petit fossé donnant accès derrière le château. La Minute était auparavant un fief et une seigneurie relevant de la baronnie de Sainte-Croix. Citons entre autres seigneurs des lieux du XVème au XVIIIème siècle : noble Jean Février ; Jean du Tartre ; Olivier Chanterel, capitaine et châtelain de Sainte-Croix ; Liebaud de Chanterel ; Mathieu Donvray, capitaine et châtelain de Sainte-Croix ; noble Pierre Chatot, procureur général du roi au baillage de Chalon ; Philibert Canat, écuyer, major de la ville et de la citadelle de Chalon. Ce fut la veuve de ce dernier, Françoise Eléonore Chatot, qui vendit le fief de la Minute à Jean-François-Joseph le Venant comte d’Iverny, marquis de Sainte-Croix et à Marie-Jeanne-Joseph de Torcy, son épouse, moyennant 16.000 livres et 600 livres d’étrennes, en 1744. Au 9 novembre 1759, la minute vaut 300.000 livres.

   La ferme de la Minute se composait d’un bâtiment d’habitation de 30m de long et d’un four derrière celui-ci. En face et parallèlement, séparé par ce qui était la route reliant le bourg à des hameaux plus reculés tels Châtenay et qui reste encore aujourd’hui un chemin communal, le bâtiment d’hébergeage de 40m de long jouxte l’abri du jardinier du château et ses clapiers. Ces derniers sont toujours visibles dans les broussailles, tout comme « le réservoir », une sorte de puits assez particulier.

 
La Minute dans les années 1970’-1975’

 

   Le 11 novembre 1882, c’est la famille Cannard originaire de Montpont qui s’installe à la Minute ayant loué la ferme au marquis de Mazenod : bien que d’autres familles s’étaient présentées, et notamment de Sainte-Croix, ce sont les Cannard qui furent choisis car en plus des parents, la famille se composait de neuf enfants dont six garçons c’est-à-dire de nombreux bras utiles aux travaux des champs et donc un meilleur rendement pour le marquis.

   Aux époques les plus récentes, le domaine s’étendait sur 100 journaux ou soitures donc environ 33 hectares. Les états de lieux qui nous sont parvenus permettent de voir de quoi était meublée la ferme, quelles en étaient les pièces la composant, mais aussi d’avoir dans le détail les différents bois et prés composant le domaine et combien celui-ci valait. Notons par ailleurs que sur ces états de lieux datant de 1882 et 1933, il est encore question du domaine de la Minute.

   D’après nos sources, en 1882, le fermier louait 1.800F. En 1932, 2.250F ainsi que 20 livres de beurre en mai et autant en septembre, ou encore 12 poulets. En 1983, le fermier a donné 8.500F et 8.563F de fermage.

   La Minute fut le dernier domaine à appartenir au comte de Varax, souvenir du marquisat mais aussi des baronnie et seigneurie de Sainte-Croix.

   Quatre générations de Cannard se sont succédées à la Minute durant 102 ans. La ferme fut en activité jusqu’au 11 juin 1984 date à laquelle le comte de Varax la vendit à la commune qui la démolit en 1987 afin de faire l’actuelle Salle des Fêtes. Imaginez qu’à la place de cette dernière se dressait fièrement cette ferme plusieurs fois centenaires que les bulldozers ont eu bien du mal à mettre à terre…    

 
Le bâtiment d’habitation

 
Le bâtiment d’hébergeage

 

   Enfin, le domaine du Moulin est assez particulier puisque comme son nom l’indique il s’agit du moulin de Sainte-Croix. De nombreux moulins étaient présents à Sainte-Croix notamment un aux Piguets (XVIIIème-XIXème siècles) qui devait probablement se situer sur l’étang de la Thuilerie comme nous l’avons mentionné plus haut ; ou encore un à l’Abergement dont la présence est attestée par un règlement d’eau du XIXème siècle et par sa demande de création le 14 juillet 1805 par M. Laurent GOUX qui « informe le Maire qu’il a l’intention de faire construire un moulin au devant du pont de Labergement sur le ruisseau de la Sâne Morte ».
   Le moulin du bourg est connu depuis longtemps puisque de nombreux actes en font mention notamment dans un état de travaux fait en 1739 « sur les ouvrages du moulin de Sainte-Croix », ou dans un acte de dénombrement du 18 janvier 1760 : « Audit bourg sont les fourgs banaux dont la maison est assise au devant du château. Auprès desquels fourgs sont les moulins assis sur la rivière du Solnan ». En fait de moulins il faut comprendre ici les meules en elles-mêmes qui étaient probablement comme de nos jours au nombre de deux. De plus, il est également représenté sur la carte de Cassini.
   Des documents datant de 1788, nous étant parvenus, font état du « Plan de la nouvelle construction des moulins de Sainte-Croix » : sont représentées les deux façades principales, la « façade des murs de parement du côté des moulins », de même « du côté des roues » ainsi qu’un plan au sol. Ces travaux ont été commandés pour Mme de Fleury, la mère d’Eugène de Renouard. S’agissait-il d’une rénovation des bâtiments ? d’un changement de mécanisme ? ces travaux furent-ils réalisés ou ceci resta-t-il à l’état de plan ?
   Nous pouvons ainsi constater sur ces plans que le moulin n’avait qu’un seul niveau et une seule arche qui était un peu plus décalée du côté de Louhans que du bourg. 

Plans de reconstruction (1788)

    Le moulin que l’on connaît actuellement date de 1882, date à laquelle il fut remonté à quatre niveaux et où un deuxième passage d’eau fut effectué : un vers le bourg donnant accès aux vannes de décharge et l’autre enjambant l’eau alimentant les turbines. En effet, le moulin de Sainte-Croix sis sur le Solnan fonctionne à la fois sur le bras principal de ce dernier mais également sur un bras secondaire. Cette disposition est déjà visible sur notre carte terrier ainsi que sur le cadastre de 1813 : sur ces documents nous pouvons même apercevoir un troisième bras, très fin et inexistant aujourd’hui, souvent à sec au début du XXème siècle et c’était par ce gué que les hommes travaillant au moulin passaient afin d’aller faire un tour au café du bourg sans être vus…

 
Le moulin de Sainte-Croix aujourd’hui

 

Cadastre de 1813 reproduit par un habitant de Sainte-Croix

    Afin de comprendre le fonctionnement du moulin, il est important de cerner la physionomie du Solnan à cet endroit précis. A environ 1 km en amont du moulin, au lieu-dit Le Pré Chevalier, est installé un petit barrage en travers de la rivière sur le bras qui est devenu secondaire, toute l’eau étant réservée au bras qui est devenu principal et qui alimente le moulin.  Le règlement d’eau de Napoléon III a imposé un déversoir au moulin : cette construction et le barrage d’amont sont dérasés au même niveau c’est-à-dire que s’il passe 10cm d’eau sur le déversoir, il en passera également 10 sur le barrage. Le Solnan se divisant en deux, le barrage est un ouvrage ayant pour but qu’un maximum d’eau vienne au moulin (selon le règlement imposé), c’est la partie vive de l’eau. Seul le surplus écrêtant va se déverser dans le bras secondaire. Ainsi, un premier pont vers le bourg enjambe l’eau qui alimente le moulin, un deuxième celle déversée de la crête du déversoir et un troisième enjambant le bras secondaire du Solnan. En 2003, lors des travaux effectués sur les ponts du moulin, fut mis au jour un ouvrage en maçonnerie de briques en biais sur le bras principal : cette construction ancienne servait-elle à canaliser l’eau et ne laisser passer que l’eau excédentaire afin d’actionner les roues ? Notons ainsi la présence de grandes roues et non de barils à Sainte-Croix puisque l’eau arrive par-dessous et non par-dessus via un canal et des godets. 

   Le moulin de Sainte-Croix est connu sous le nom de moulin Coulon du nom de la famille l’exploitant depuis 1859 jusqu’à nos jours. L’aïeul de Pierre Coulon, propriétaire depuis 1948 et ayant passé la main à son fils maintenant, était propriétaire exploitant du moulin situé au bourg de La Chapelle-Thècle. En 1859, le locataire du moulin de Sainte-Croix, appartenant au marquis, part exploiter celui de Louhans car plus important : M. Coulon vient exploiter celui de Sainte-Croix tout en louant celui de la Chapelle-Thècle à un fermier.

   En 1882, comme on l’a vu plus haut, c’est l’agrandissement de l’édifice avec l’ajout de trois étages s’expliquant par une contrainte technique : jusqu’alors, avec un seul étage, l’activité de mouture se faisait grâce à des meules de pierre et tirait son énergie d’une roue hydraulique. Dorénavant, le rehaussement facilite la transmission alors que l’activité de mouture ne cesse de croître. La roue est aussi remplacée par un système plus puissant puisque l’on équipe le moulin de trois turbines à axe vertical fabriquées à Louhans par les établissements « Alaise ». Mais en période de sécheresse ou de crue, on est obligé d’arrêter le moulin c’est pourquoi on l’équipe en 1905 d’une machine à vapeur afin de pallier ces inconvénients naturels.

   Dans les années 1900-1914, on assiste à un grand tournant dans l’évolution technique de la meunerie c’est ainsi que le châtelain, à la demande de M. Coulon, fait équiper le moulin de Sainte-Croix de cylindres Buhler en 1913 (le meunier fait de même pour son locataire de la Chapelle-Thècle). Notons également la présence rare à l’époque d’une dynamo afin d’avoir du courant en continu au moulin.
   En 1918, une crue très importante endommagea fortement l’ouvrage d’amont : le comte de Varax décide alors de vendre son moulin en 1920 suite à cette secousse financière imprévue pour lui. Félix Coulon se porte acheteur et vend celui de la Chapelle-Thècle mais décède en 1937 laissant un fils de 10 ans, Pierre Coulon. A cette date, le père de Félix reprend tant bien que mal les rênes du moulin jusqu’à sa mort si bien qu’en 1948 Pierre Coulon se retrouve à la tête d’un moulin alors qu’il n’en avait jamais vu de sa vie, comme il aime le à dire lui-même. C’est grâce au personnel en place depuis de longue date qu’il apprend le métier et a fait du moulin ce qu’on en sait aujourd’hui.
   En ce qui concerne le domaine en lui-même, lors de l’achat du moulin en 1920, aucune terre n’y était rattachée : le domaine comprenait uniquement le moulin et l’imposant bâtiment abritant les anciennes halles médiévales appartenant au château faisant l’angle de la Grande Rue avec la route de Montpont. Comme tout meunier, le grand-père Coulon ayant des cochons, il dut acheter au comte un terrain aux « Villerots » afin de pouvoir les parquer. Le domaine du moulin était en fait le plus petit des domaines en superficie puisque ne comprenant apparemment aucun terrain mais est celui qui eut la plus longue postérité.

   Comme nous l’avons vu, notre carte terrier, en l’absence de sa matrice, ne nous permet pas de l’étudier totalement. Il nous est simplement possible d’étudier, dans la mesure du possible, les différents domaines existants alors ou de constater les éventuels changements topographiques sur une partie de Sainte-Croix. Ainsi, par exemple, grâce à notre document, nous comprenons pourquoi aujourd’hui le bourg du village est en proie à de si soudaines crues car le Solnan reprend son tracé original. En regardant la carte, nous pouvons voir que le cours du Solnan revenait largement devant l’église sur l’actuelle place [voir le cadastre ci-dessus], appelée autrefois « Place du Marché » et sur une partie de la route reliant Louhans à Bourg. A cet endroit s’élevait ce qu’on appelait « L’Abreuvoir » et ce n’est qu’en 1947 que le maire, Charles Genetet, le fit remblayer en partie, dressa un muret faisant office de digue qu’il surmonta d’un trottoir en béton et d’une balustrade dont une partie est encore visible vers les quais du moulin. Cet édifice fut démoli afin que l’on remblaye davantage pour gagner ainsi un maximum de place. A vouloir s’imposer sur la nature, l’homme s’est une fois de plus fourvoyé puisque cette zone sur l’ancien cours de la rivière restera à jamais sa zone d’épandage lors des crues.

 

   Bien qu’incomplète sans sa matrice et sans les éléments inhérents à son élaboration, notre carte-terrier de 1812 n’en reste pas moins un document rare et important. Rare tout d’abord de par sa datation relativement récente et de par son assez bon état de conservation. Important enfin car comme tout document d’archives il fait partie de notre patrimoine. Il est révélateur d’une certaine époque, de ses hommes et de leur histoire.
   Aujourd’hui, notre carte terrier reste la propriété de l’Association d’Artagnan mais pour des raisons de conservation, elle sera placée aux archives départementales en échange d’une copie la plus fidèle possible qui sera accessible pour la population de Sainte-Croix.

Adeline CULAS

Association d’Artagnan

 

Carte terrier du marquisat de Sainte-Croix en 1812

 

 
Détail du blason et de l’échelle

 
Le bourg de Sainte-Croix

 

 
Domaine du Moulin, de la Minute et le bourg

 

 
La ferme de la Minute et le château

 
Les explications de la carte terrier

Illustrations et renseignements tirés des ouvrages suivants: